Cécile D.

fonctionnaire territoriale, 46 ANS, vit à Saint-aUbin-du-mÉdoc (Gironde)

 

photo © Marco Barbon

Les ballons rouges

 

Il n’est pas facile d’écrire ces mots mais il le faut pour sensibiliser l’opinion publique et espérer pouvoir enfin protéger les enfants de la violence psychologique infligée par un parent lors de la séparation. Il n’est pas nécessaire d’être deux pour faire la guerre, un seul suffit.
J’ai rencontré le père de mes filles quand j’avais 19 ans, il est rapidement devenu « mon tout ». Il a décelé mes fragilités affectives, mon manque de confiance en moi, il s’est positionné en modèle à suivre et l’emprise s’est installée, invisible à moi et aux autres.
Ensuite sont venus le dénigrement, les critiques, il détaillait inlassablement le moindre de mes défauts « tu as des problèmes psychologiques » me répétait-il en permanence. A force de frapper sur un clou il finit par rentrer et j’ai fini par croire que j’avais au moins la chance de l’avoir lui.
Je suis tombée enceinte et les crises sont apparues, venues de nulle part mais dont j’étais toujours tenue responsable.
Nous avons eu deux filles, Clara et Nora, treize mois d’écart. Je me suis démenée pour mon foyer, je faisais tout toute seule (gestion totale des enfants, courses, ménage, repas) et je travaillais. J’étais épuisée mais très épanouie dans mon rôle de maman.
Notre vie était rythmée par les crises, le harcèlement et la toute-puissance du père. Finalement, avec le recul, la suite était presque prévisible.
À Noël 2020, énième crise et j’ai soudainement ouvert les yeux sur la violence psychologique que je vivais depuis 23 ans. La séparation était la seule issue. En perdant son emprise sur moi, sa colère s’est empirée et la situation est devenue dangereuse physiquement. Le premier mauvais geste est arrivé et j’ai dû partir en urgence.
J’ai quitté mon domicile un matin avec mes filles, mon chat, quelques affaires et j’ai porté plainte, ma famille nous a accueillies. Le confinement est tombé quinze jours plus tard et j’ai accepté que mes filles se confinent dans la maison, avec leurs affaires et leur père. Je faisais alors la différence entre le père et le conjoint, pourtant, depuis ce jour, je n’ai jamais pu les récupérer une seule nuit.
Dès cet instant il s’est acharné à me diaboliser et se victimiser.
En France, sans jugement, un parent n’a pas de droit. Même dans les cas complexes, les parents sont censés s’entendre. J’ai vu mes filles trois fois une heure pendant le confinement, aux conditions du père : dans la forêt, à distance, avec un masque et sous surveillance de la grand-mère paternelle. Mes filles avaient peur que je les contamine : première étape d’un plan de destruction du lien mère-fille. Elles avaient alors 15 et 16 ans.

Au contact exclusif de leur père, et sans jugement actant leur garde, en 9 mois je n’ai vu mes filles que 13 dimanches après-midi et elles ont glissé irrémédiablement de l’amour à la haine. J’ai vécu cette période en pleine conscience, j’ai vu la souffrance, les visages tordus par une douleur muette et dans l’impossibilité d’en parler. J’ai cherché de l’aide partout (gendarmerie, 119 enfance en danger, psychiatre de renom, médecin, psychologue, associations diverses, Procureur, Première dame, Ministre de la Justice), rien n’a pu entraver le processus.
Quand le jugement est arrivé, c’était trop tard. Elles tenaient des propos déformés sur notre départ et sur notre vie, disaient vouloir vivre avec leur père et avec moi un dimanche sur deux, quant à moi, je demandais une garde alternée. Mon droit de garde (1 week-end sur 2 et moitié des vacances) n’a jamais été respecté et j’ai déposé 13 plaintes pour non-représentation d’enfants. Le JAF a décidé une enquête psychologique, date butoir à 6 mois (danger avéré), le juge pour enfant a fait de même, nouvelle enquête de 6 mois : ALIENATION PARENTALE conclue. Les services sociaux, débordés, ont mis des mois à intervenir. Le père a été convoqué au Tribunal correctionnel pour les non-représentations d’enfant et a été relaxé car, selon le juge, « à cet âge les enfants décident », il n’y a pas de passerelles entre les juridictions.
Les mesures décidées par le Juge pour enfants n’ont pu se mettre en place en raison du « blocage du père », noté en conclusion. Les procédures sont chères et même inaccessibles dans certains cas. Malgré cela les lois et les décisions de justice ne sont pas appliquées, sans sanction pour personne.
Mes filles sont aujourd’hui majeures, je n’ai plus aucune information sur leur vie depuis 3 ans et elles ont coupé les ponts avec chaque personne de leur famille maternelle (grand-mère, tantes, oncles, cousines) personne ne peut plus les joindre. Nous vivons toutes les 3 dans la même commune, quand elles m’aperçoivent c’est comme si elles voyaient un fantôme, c’est à peine croyable.
Je me sens coupable de ne pas avoir pas vu le déséquilibre s’insinuer dans ma vie et de ne pas avoir réussi à protéger mes enfants. Mais je suis aussi très fière de mon combat de mère, je n’ai cédé ni à la colère, ni à la haine et j’ai gardé mon cap sans m’écrouler. 
Mon amour pour mes enfants est inconditionnel, je suis leur maman et le serai toute ma vie.

Cécile D., octobre 2023

* pour préserver leur anonymat, les prénoms des enfants ont été modifiés

“Je suis très fière de mon combat de mère, je n’ai cédé ni à la colère, ni à la haine et j’ai gardé mon cap sans m’écrouler”.