Élodie

INSTITUTRICE, 43 ans, vit à BONDUES (NORD)

 

photo © Marco Barbon

Nelly m’avait cousu un cœur avec un “M” dessus. Pour leur nouvelle chambre, je leur en avais cousu un moi aussi avec leurs initiales. J’ai retrouvé celui de Nelly déchiré.

 

J’ai deux filles : Nelly et Claire *. Elles ont aujourd’hui 15 et 12 ans. Nous étions très proches toutes les trois. Nous allions souvent à la bibliothèque, nous promener, nous faisions des jeux de société. Nous sommes souvent partis en vacances et j’ai plein de souvenirs de ces moments ensemble : ski, mer, montagne… Quand on faisait des randonnées, Claire me donnait toujours la main. Quand elle faisait ses devoirs et que je lui dictais les mots à apprendre, elle glissait toujours un petit mot « maman je t’aime » avant de me donner sa feuille et je lui répondais avec un autre petit message. On avait fabriqué un petit cadre avec une photo de nous deux : elle avait voulu rajouter « inséparables ». Quant à Nelly, elle m’a offert beaucoup de petits mots doux, de dessins, de cadeaux pour me dire qu’elle m’aimait. On lisait beaucoup toutes les deux, on cousait ensemble.
 Quand j’ai pris la décision de me séparer de leur papa, en quinze jours, leur comportement a complètement changé. Elles m’ont rejetée, insultée, dénigrée. En attendant une décision de justice, je n’ai quasiment pas réussi à les voir malgré toutes mes demandes. En juillet 2021, le verdict est tombé : droit de visite un samedi sur deux de 10h à 18h. Pas un week-end entier, pas les vacances scolaires! Un choc énorme! 
Nous avons réussi à passer des bons moments ensemble : piscine, cache-cache dans le jardin, activités manuelles, foot, trampoline, mer… Mais elles n’ont plus eu aucun geste affectif envers moi, plus un bisou, plus un câlin. Elles sont restées très distantes. Et certains samedis ont été terribles pour moi. Elles cherchaient le conflit, m’ignoraient, étaient irrespectueuses, leur but étant de « m’épuiser ». Toutes mes paroles, tous mes actes étaient analysés et critiqués négativement. Un samedi de septembre 2022, je suis allée les chercher et elles ont refusé de venir avec l’accord de leur papa.
 Début de burn-out pour moi. Je me suis effondrée. Trop de souffrances, d’incompréhensions, de méchancetés, de violences psychologiques, d’humiliations. J’ai dû prendre la terrible décision de ne plus les forcer à venir et de ne les voir que si elles le souhaitaient. Pour me protéger, pour rester debout et continuer à avancer.
 Depuis, silence radio : aucune réponse à mes messages d’invitation, de souhait d’anniversaire, de félicitations pour leurs bulletins… 
Le contraste entre avant et après la séparation est incompréhensible pour moi et très douloureux. Nelly m’avait cousu un cœur avec un « M » dessus. Pour leur nouvelle chambre, je leur en avais cousu un moi aussi avec leur initiale. J’ai retrouvé celui de Nelly déchiré. 
On avait commencé à coudre une peluche toutes les deux, je l’ai fini après la séparation et l’ai préparé dans sa chambre pour l’accueillir : elle l’a tout de suite mis dans le tiroir sous son lit.

Être rejetée en bloc en tant que maman, dénigrée en tant que personne, c’est très difficile à vivre et à accepter.
 Je ne les ai pas vues depuis huit mois. J’apprends à vivre avec ce manque mais mes filles sont toujours présentes au fond de moi au quotidien. Tout me fait penser à elles.
 J’espère qu’un jour elles reviendront vers moi. Je m’accroche aux photos de nous trois, aux petits mots doux. J’espère que cet amour que l’on se portait autrefois sera plus fort. J’espère qu’elles se souviennent au fond de leur cœur de ce qu’on a partagé toutes les trois.
Je les attends à bras ouverts, peu importe leurs paroles blessantes, leurs insultes, leurs coups… Je ne rêve que du jour où je pourrai à nouveau les serrer dans mes bras.

Élodie, avril 2023

* pour préserver leur anonymat, les prénoms des enfants ont été modifiés

Des petits objets que vous aviez fabriqués, retrouvés dans le salon de ma nouvelle maison.
J’ai l’impression que, malgré votre volonté de ne plus me voir et votre rejet vis-à-vis de moi, vous souhaitez me dire :« Maman, nous sommes là, ne nous oublie pas ! ».
Peut-être que mon interprétation est fausse...mais je m’accroche à cette pensée et à ces petites choses pour combler le vide de votre
absence...en espérant vous retrouver bientôt…
— Élodie