LECTURES ET D’AUTRES TÉMOIGNAGES

Ici vous trouverez des textes, des suggestions de lectures, de films et de chansons qui pourront vous aider à mieux comprendre la thématique de l’exclusion parentale

 
 

Comment préserver ses enfants lors d’une séparation?

 
 

Ce livre, écrit par le psychopédagogue belge Bruno Humbeeck et joliment illustré par Coline Girard, aborde d’une manière claire et intelligente la problématique des séparations conflictuelles et donne de nombreux conseils, aux adultes et aux enfants, pour ne pas tomber dans les pièges de l’exclusion parentale.

Comme l’auteur le dit très bien, “l’amour ne se divise pas quand il se partage“.

Bruno Humbeeck met en lumière notamment plusieurs conduites qui favorisent l’exclusion parentale :
- le fait de dénommer ou renommer le parent qu’on veut détruire (« l’autre », « celui qui prétend être ton père » ou « celle qui prétend être ta mère » etc.)
- les reproches qui tournent en boucle
- la loupe qui grossit les défauts de l’autre parent, en cachant en même temps ses qualités
- les phrases extraites de leur contexte, qui finissent par véhiculer un sens différent du sens qu’elles avaient à l’origine
- la supposée métamorphose diabolique de l’autre parent
- l’un des parents se pose comme un parangon de vertu en faisant passe du même coup le parent cible pour un exemple absolu d’immoralité (voire un monstre).

Pour chacune de ces conduites l’auteur propose, en guise d’antidotes pour les enfants qui en seraient exposés, des petites comptines.

Ce livre fait passer un message d’espoir aux enfants et aux parents victimes de l’exclusion parentale, car « même affaibli, le lien parental revêt tellement de formes différentes que personne ne peut prétendre l’avoir rompu totalement, complètement et définitivement ».

“ Être enfant c’est aussi, quand on le souhaite, être autorisé à ne pas parler (le mot « enfant » vient du latin infans : celui qui ne parle pas), à ne pas prendre parti et à n’être utilisé comme témoin par personne. Pouvoir se taire, rester neutre et ne pas être impliqué dans le spectacle de deux parents qui se déchirent, c’est un droit que l’on doit à tout prix préserver chez l’enfant et chez l’adolescent ”

— Bruno Humbeeck, Comment préserver ses enfants lors d’une séparation?, Ed. Mango, p. 25

 
 

 

Aliénation parentale, emprise : retour d’expérience, regard d’un avocat

par Cyril Braniste, Avocat AU BARREAU DE PARIS

 

Le syndrome d’aliénation parentale ou SAP existe sous cette qualification depuis les années 80.
Il s’agit, selon la définition du psychiatre Gardner qui a théorisé la notion, d’un «ensemble de troubles psychologiques qui sont la conséquence chez l’enfant et l’adolescent, d’une situation où un parent qualifié "d’aliénant" s’efforce par tous les moyens de l’éloigner de son autre parent "parent aliéné", et ce notamment avec la participation active de l’enfant».

Fréquemment invoquée devant le juge aux affaires familiales à l’occasion d’un conflit sur la résidence, ainsi que devant le juge des enfants, cette notion a fait l’objet de controverses.
Certains juristes et militants associatifs ont combattu le SAP, lui contestant sa valeur scientifique, et lui reprochant d’être utilisé comme moyen de défense en réponse à des accusations de violence conjugale ou d’abus sexuel.
À mon sens, il s’agit d’une manière binaire d’opposer des comportements également toxiques et destructeurs.
Que la notion soit qualifiée « d’aliénation parentale », « d’emprise », de « manœuvre irraisonnée exercée par un parent avec intention de nuire, en vue d’éloigner un enfant de l’autre parent », que la notion soit quelque fois instrumentalisée, on ne peut de bonne foi contester que ce type de comportement pathologique existe, se rencontre plus fréquemment qu’on ne croit, et surtout constitue une vraie maltraitance psychologique.
Le SAP est susceptible de faire des ravages sur les enfants, comme sur les parents victimes, et leurs proches. Au-delà de la souffrance terrible ressentie par un parent privé de son enfant, l’enfant voit la construction de sa personnalité gravement menacée par l’image négative de son autre parent niée dans son existence, et sa fonction parentale.
Fruit d’une observation de la pratique judiciaire à travers deux cas emblématiques récemment plaidés, le présent article a pour vocation d’en tirer les enseignements, et d’inciter les magistrats, auxiliaires de justice, experts et
travailleurs sociaux à prendre en considération avec rigueur et sérieux ce type de situation, à en mesurer la gravité, et avoir le courage de prendre les mesures qui s’imposent.
Au terme de l’article 373-11-2 du code civil, lorsqu’il se prononce sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale, le juge prend notamment en considération (entre autres critères) :

- L’aptitude de chacun des parents à respecter les droits de l’autre,

- Les pressions ou violences à caractère physique ou psychologique exercées par l’un des parents sur la personne de l’autre.

S’agissant de situation d’aliénation parentale, la pratique révèle un certain manque de rigueur dans l’application de cet article et une méconnaissance chez de nombreux professionnels des enjeux réels du traitement judiciaire de la problématique.

Premier cas :
Valérie, 10 ans, et sa mère Isabelle.

Isabelle vit avec son mari Armand et sa fille Valérie.
Isabelle est une personne effacée, d’une nature douce, non conflictuelle, elle exerce des responsabilités professionnelles prenantes, et affronte courageusement vie domestique et travail.Véritable tyran domestique, Armand est dur, autoritaire, humiliant avec sa femme en présence de Valérie. Il lui reproche à peu près tout ; de mal faire la cuisine, le ménage… de ne pas être une bonne mère. Prenant l’enfant à témoin, il lui dit souvent « T’es nulle, tu sers à rien ».
Valérie donne raison à son père contre sa mère qui ne sait pas se défendre. Elle lui manque régulièrement de respect, et lui tient elle aussi des propos humiliants. Lorsqu’elle veut faire des câlins à sa fille, celle-ci la rejette violemment. Une relation de « complicité malsaine père-fille » est ainsi instaurée contre la mère, qui se voit ainsi accablée au quotidien par le couple formé par son mari et sa fille.
Désespérée, en but à une hostilité permanente, la mère finit par quitter le domicile conjugal, et demande le divorce. Elle sollicite la fixation de la résidence alternée de Valérie.
Après avoir entendu l’enfant qui tient un discours bien rodé par son père, le juge aux affaires familiales déboute la mère de sa demande de résidence alternée, et fixe la résidence de l’enfant chez son père avec attribution d’un droit de visite et d’hébergement un week-end sur deux à la mère. Une expertise médico-psychologique est ordonnée. La mère se réfugie dans le travail, et noue une relation avec un collègue qui la soutient. Depuis son départ, elle ne peut exercer son droit de visite et d’hébergement, Valérie refuse de la suivre à la sortie de l’école, son père étant toujours posté devant l’école. Les insultes fusent.
Lorsqu’elle veut porter plainte au commissariat, les policiers lui opposent « qu’ils ne peuvent arracher l’enfant de force à leur père ». On l’incite à faire une main courante. Elle doit insister pour porter plainte.
Une fois, Valérie accepte de suivre sa mère et passe une demi-journée avec elle, sans lui parler, la regardant froidement.
À un moment, Isabelle oublie son téléphone portable sur la table de la cuisine, et va respirer dans le jardin. Par la fenêtre, la mère surprend sa fille fouillant dans ses photos et sa messagerie WhatsApp. Elle réalise que Valérie, en service commandé par son père, fait intrusion dans ses messages personnels pour trouver la preuve de son adultère.
Par la suite, dans le cadre de la procédure, l’enfant dira aux enquêteurs sociaux et aux psychologues que sa mère est une « pute, une salope », et leur montrera fièrement la capture d’écran qu’elle a faite.
Dans le cadre de l’expertise, le père et l’enfant présenteront la mère comme démissionnaire, abandonnique, irresponsable, lui imputant tous les torts. La mère tentera d’expliquer malgré sa timidité et son sentiment de culpabilité, ce qu’elle a vécu au domicile. L’expert notera que le discours de l’enfant « semble calé sur celui de son père. Son discours est froid et sans affect comme celui de son père », mais l’expert semble ne pas y attacher vraiment d’importance, et n’en tire aucune conséquence.
Il conclut qu’il n’y a pas à remettre en cause l’aptitude maternelle. La mère présentant les toutes les caractéristiques d’une mère aimante et bouleversée par la situation, et conclut à un conflit parental aigu, au maintien de la résidence de l’enfant chez son père.
De l’opportunité au maintien d’une thérapie familiale ou d’une médiation.
Suite aux plaintes d’Isabelle, le père est convoqué, il se protège derrière le refus de l’enfant de voir sa mère.
Elle saisit le juge des enfants qui ouvre un dossier d’assistance éducative.
Sont nommés une équipe d’assistantes sociales spécialisées, ainsi qu’un psychiatre pour une expertise psychiatrique.

Après plusieurs mois, le rapport des assistantes sociales est rendu. Il conclut en ces termes : « Conflit parental aigüe. Conflit de loyauté. Enfant pris en otage dans un conflit d’adultes. Nécessité d’une meilleure communication dans l’intérêt de l’enfant, poursuite de l’assistance éducative ».
Le psychiatre constate que le comportement de l’enfant et de son père sont particulièrement troublant, ils obéissent à un certain nombre de critères : une attitude de dénigrement systématique émanant de la fille comme de son père à l’encontre de la mère ; une argumentation irrationnelle pour justifier ce dénigrement, une absence d’ambivalence dans le discours de l’enfant et de son père. (Tout est nul, il n’y a rien de bon, tout est à jeter chez la mère), l’affirmation forte par l’enfant que cette décision vient de lui seul, un soutien indéfectible à son père, une absence de culpabilité, l’usage de phrases et d’expressions - empruntées à son père, un dénigrement et une rupture des liens concernant la famille de sa mère, oncles et tantes maternelles, grand-parents maternels.
Il s’agit des critères de comportement observés par le psychiatre Gardner lors de la description du syndrome d’aliénation parentale. Ici le tableau clinique est complet.
L’aptitude maternelle n’est absolument pas remise en cause par l’expert qui constate la capacité aimante d’Isabelle et sa grande souffrance de la situation.
Le profil pervers de la personnalité du père est décrit. L’expert conclut à un syndrome d’aliénation parentale. Il conclut à la mise en place de soins thérapeutiques (thérapie familiale au besoin sous la contrainte et à l’ouverture d’un dossier d’assistance éducative chez le juge des enfants).
Après avoir entendu longuement l’enfant, ses parents et leurs avocats, le juge des enfants rend une ordonnance très motivée au terme de laquelle il place l’enfant dans une famille d’accueil, et ordonne la poursuite d’une mesure d’assistance éducative renforcée. Il attribue à la mère un droit de visite, et suspend en l’état tout droit de visite du père.

Au terme d’une année de travail rigoureux des travailleurs sociaux, et psychologues pour restaurer le lien mère-enfant, Valérie est retirée à sa famille d’accueil et confiée à sa mère.
Le père continue de voir sa fille en lieu de médiation. Valérie et sa mère sa mère ont une relation apaisée. Le processus pervers a été endigué à temps.

Deuxième cas :
Amanda 10 ans, Jérôme 8 ans, Carole 5 ans et leur père Jean Luc.

La famille habite en région parisienne. Il y a quelques mois, leur mère Ghislaine met Jean-Luc devant le fait accomplit d’un départ avec les enfants mineurs dans le sud-ouest, pratiquant ainsi un coup de force. Se comportant en propriétaire de ses enfants, elle prend toutes les décisions relevant de l’autorité parentale seule (scolarisation, suivi médical etc…), et ne donne aucune information ni même son adresse au père.
Jean-Luc, après plusieurs semaines, parvient à parvient à trouver l’adresse de la mère, et saisit le juge aux affaires familiales en référé, sollicitant le retour de ses enfants au domicile familial.
Avant-dire droit, le juge ordonne une expertise médico psychologique, une enquête sociale. Il se voit débouté de sa demande de transfert de résidence du domicile des enfants chez lui, au motif que les enfants sont déjà scolarisés et qu’ils ont trouvé leurs repères dans leur nouveau domicile. Il est précisé que, entendus par le juge, les deux aînés ont évoqué pour la première fois la prétendue violence de leur père, et indiquent qu’ils souhaitent rester avec leur mère.
Le juge attribue au père le droit de visite et d’hébergement le plus large possible, et met à la charge de la mère le coût des trajets des enfants.
La mère met à profit le temps qui passe pour procéder à un vrai lavage de cerveau de ses enfants, tenant un discours victimaire et systématiquement disqualifiant à l’endroit du père.
Il s’agit d’une vraie entreprise d’élimination du père de la vie des enfants. Elle construit un discours visant à se faire passer pour victime de violences conjugales et réunit ses enfants pour des mises au point stratégiques. 
Dans le cadre de l’enquête sociale et de l’expertise. Les enfants et la mère, tiennent un discours absolument identique. L’enfant le plus jeune dévoilant que la mère a réuni la fratrie pendant plusieurs heures pour préparer l’entretien avec l’expert.
L’enquête sociale conclue à un conflit parental aigüe, un conflit de loyauté, a la nécessité d’une médiation. L’aptitude paternelle n’est pas remise en cause. Au contraire. La violence alléguée par Madame et par les enfants paraît sujette à caution. La mère est présentée comme légèrement sur protectrice mais les enfants ont trouvé leur équilibre dans leur nouveau cadre de vie.
L’expert psychiatre, quant à lui, constate que le « discours des enfants est à l’unisson de la mère ». Les propos sur les violences conjugales qui n’ont jamais fait l’objet de plainte semblent contradictoires et incohérents. Il constate une réelle « froideur affective » des enfants lorsqu’ils parlent de leur père. Les enfants sont comme coupés de leurs émotions et manquent d’empathie. Est observé une influence très grande des deux aînés sur le petit dernier pour qu’il rejette lui aussi son père. D’ailleurs ceux-ci l’appellent par son nom de famille au lieu de l’appeler « papa ». Il constate une nette tendance à la manipulation de la mère, et une emprise très forte sur les enfants. Il constate que les critères du syndrome d’aliénation parentale énoncés dans le premier cas sont ici réunis.
Selon l’expert, tout a été entrepris de façon délibérée par la mère pour aboutir à une rupture du lien père enfant, étant précisé que la mère a reconstruit sa vie avec un autre homme, qu’elle désigne sans ambiguïté comme père de substitution.
L’expert constate un processus pervers et fanatique au sein de cette famille recomposée, et pose que les enfants sont en danger moral.
Il préconise la saisine du juge des enfants, et l’instauration de mesures éducatives renforcées avec mise en place de droits de visite en lieu de médiation. Pour autant, l’expert ne préconise pas de transfert de résidence chez le père. Il va même jusqu’à considérer qu’en cas d’échec du travail éducatif, il n’y a pas lieu de s’acharner dans la mesure où les enfants ont des conditions de vie adaptées chez leur mère.
Le travail éducatif se poursuit pendant des mois. Il est constaté que les deux aînés sont à ce point figés dans leur rejet du père, que toute approche psychologique semble vaine. Seul le petit dernier a accepté de communiquer avec son père lors d’entretiens médiatisés individuels, et donc isolés de ses frères et soeurs et de sa mère. Les enfants resteront chez leur mère. À la différence du cas d’Isabelle, aucun placement, aucun transfert de résidence ne sera ordonné.
Ces deux cas sont représentatifs. Ils témoignent des obstacles et dysfonctionnements de la prise en charge, de la problématique de l’emprise d’un parent sur les enfants.
Pourtant, la justice peut aider, voir désamorcer cette bombe à retardement qu’est l’aliénation parentale. Encore faut-il qu’elle évalue à temps, et appréhende à sa juste mesure la gravité de la situation.
Ces situations doivent être appréhendées rapidement. Avant qu’il ne soit trop tard.
Le travail de sape exercé par un parent s’imprime avec le temps, et lorsque l’enfant devient adolescent, il est très difficile de lui faire changer de vision.
Or, le temps d’enquête et le temps judiciaire sont trop longs. Parce qu’ils sont débordés et qu’ils n’ont pas assez de moyens, il arrive fréquemment que les services de police relativisent les plaintes en non présentation d’enfants lorsque l’enfant exprime son refus de voir le plaignant.
Les transports sur les lieux sont rares, on encourage à faire une main courante, une médiation, la plainte pénale, si elle est enregistrée ne déclenche que tardivement l’enquête. On s’exprime sur le registre de l’affaire « le conflit parental ». La situation est banalisée.
Qu’ils soient mandatés par l’autorité judiciaire, ou qu’ils agissent dans un cadre strictement administratif, les services sociaux suivent souvent la même logique normative, et semblent se protéger derrière un discours formaté.
Ce sont souvent les mêmes éléments de langage qui reviennent dans les rapports d’enquête sociale, « conflit parental, conflit de loyauté, enfant pris en otage dans le conflit ».
On constate très souvent un refus quasi systématique d’appréhender la situation telle qu’elle est, parce que l’on s’interdit de stigmatiser un parent par rapport à l’autre. On met la balle au centre et on ne nomme pas les choses.
S’agit-il d’un manque de conviction, de courage? Une manière de jouer toujours la même petite musique, d’appréhender les dossiers avec toujours la même grille de lecture? Ou une méconnaissance pure et simple de la problématique ?
Préconiser un suivi éducatif et psychologique « sous la contrainte » n’a pas de sens. Comment peut-on forcer un parent à s’y prêter? Il s’agit donc d’une proposition vide de contenu.
Quand on sait qu’il est prouvé que le syndrome d’aliénation parentale peut saper le fondement de la personnalité d’un enfant, que plus tard les enfants vivent leur vie d’adulte avec un sentiment de culpabilité prégnant et des difficultés pour nouer des relations intimes, il y a matière à s’interroger.
S’agissant des experts psychologues ou psychiatre auprès des tribunaux, force est de constater que certains effectuent un travail rigoureux et analysent sérieusement la situation. Pour autant, en tirent t’ils conséquences qui s’imposent ?
Dans le cas de Valérie, c’est le juge des enfants lui-même qui de manière radicale, sans préconisations des services sociaux ni de l’expert, a extrait l’enfant du milieu toxique dans lequel elle évoluait, pour la placer à titre transitoire dans une famille d’accueil. Solution brutale en apparence, mais qui s’est révélée salutaire.
Mais dans le cas de Jean-Luc, c’est un magistrat qui, après avoir constaté le coup de force d’une mère qui se fait justice a elle-même en séparant les enfants du père, valide cette situation de fait.
De quoi l’institution a-t-elle peur ?
La première chose à faire pour protéger les victimes d’une secte est de les sortir de la secte et de les soigner, de les soustraire à l’emprise du gourou.
Or dans le cas des enfants de Jean-Luc, l’expert constate que les enfants sont fanatisés, mais préconise de les laisser dans leur secte si les mesures d’aide et de soins ne marchent pas !
Comme elle le fait pour d’autres formes de maltraitance intra-familiale, il est temps pour l’institution judiciaire de prendre à bras-le-corps ce type de comportement particulièrement toxique qui détruit psychologiquement un enfant et toute une famille. Il convient d’y mettre les moyens et lui consacrer le temps et l’énergie nécessaire.

Cyril Braniste

photo © Marco Barbon

Comme elle le fait pour d’autres formes de maltraitance intra-familiale, il est temps pour l’institution judiciaire de prendre à bras-le-corps ce type de comportement particulièrement toxique qui détruit psychologiquement un enfant et toute une famille. Il convient d’y mettre les moyens et lui consacrer le temps et l’énergie nécessaire.
— Cyril Braniste, avocat
 

 

Parce que tu m’appartiens : le récit d’une exclusion parentale

 

© SWR/FFP New Media/Martin Valentin Menke

Un an après la séparation de ses parents, Anni, 8 ans, ne veut plus entendre parler de son père. Que s’est-il passé?
Cette fiction, réalisée en 2019 par Alexander Dierbach et diffusée récemment sur ARTE, met en scène une effrayante manipulation maternelle, mettant en lumière les conséquences désastreuses de l’utilisation de l’enfant comme moyen de vengeance entre les adultes.
Rare exemple de long-métrage qui aborde la question de l’exclusion parentale, ce film pourrait très bien être utilisé comme support de formation pour tous les intervenants dans le cadre de la justice familiale.

 
 

Envolées

par OLIVIER ROUMELIAN, Avocat AU BARREAU DE PARIS

 

Mais que pouvait-il bien se passer de grave en cette Saint Serge?

Ce n’est qu’après cette longue journée d’automne que la question s’était posée.
Avant cela, c’était le calme plat. En réalité, pas totalement calme. La vie est ainsi faite, de hauts et de bas. D’entente et de mésententes. Rien pour autant ne présageait un séisme d’une telle ampleur. On pense d’ailleurs en connaître l’ampleur sur le coup mais les dégâts ne se mesurent qu’avec le temps. Comme l’érosion quasiment irréversible d’une falaise crayeuse attaquée par la mer. 
Le vol avait été prémédité et certainement soigneusement organisé. Elle avait recouru à beaucoup de moyens et avait bénéficié de complicités. Elle n’avait pas pu commettre seule un tel acte. On a coutume de dire que seul le résultat compte et que seule la victoire est belle.
Il ne peut être contesté qu’elle avait atteint son objectif. 
Quelle que soit la durée de la préparation, le vol en lui-même s’était déroulé rapidement. En moins d’une journée, probablement beaucoup moins. La date qu’elle avait retenue était celle de la Saint Serge.
Elle ne pouvait ignorer qu’il associerait cette journée à la mémoire de son père récemment décédé. Était-ce un hasard du calendrier ou bien une forme de provocation afin d’accentuer la douleur? Elle seule pourrait y répondre. Quoi qu’il en soit, en ce jour si terrible, elle les avait bien envolées (1).

Il n’y avait aucun doute à cela. Au retour d’une journée de travail ordinaire, veille de week-end, l’appartement était presque vide. Il restait bien quelques meubles et des effets personnels. Il était surtout dépourvu du plus important. La petite et la grande n’étaient plus là. 
Elle avait laissé un mot sur la table de la cuisine qu’elle avait pris le soin d’écrire de sa main. Elle l’avait même signé comme pour s’assurer qu’il comprenne qu’il émane bien d’elle. Au-delà de sa forme, ce mot s’apparentait surtout à un funeste testament dans lequel son auteur ne léguait pas des biens à ses proches mais sur lequel elle avait déversé sa haine. Une forme de haine retenue afin d’apparaitre lisse et non critiquable après avoir commis une telle envolée (2).

Aux termes employés, il ne lui avait pas échappé qu’elle avait écrit ce mot sous la dictée de son conseil et donc qu’elle n’avait pas agi seule. Même lorsqu’une épreuve est individuelle, la victoire est souvent un travail d’équipe. Il n’y a pas de raison qu’il en soit différemment lorsqu’il s’agit d’un larcin.
Après la sidération vint le temps des interrogations dont les premières étaient d’ordre matériel. Où étaient-elles allées? Ce ne sont pas les hébergements qui manquent à Paris mais encore fallait-il trouver le plus adapté à la situation. Avec ses revenus conséquents, ce n’était évidemment pas l’aspect financier qui lui posait problème. D’ailleurs, pouvait-il être certain qu’elles étaient restées à Paris? Il n’en savait rien et se dit qu’elles avaient possiblement pu trouver refuge dans un lieu mis à disposition par des complices. Le plus évident était de penser au domicile de ses parents puisqu’ils avaient participé à l’envol. 

Il avait obtenu l’information de leur implication par le gardien de l’immeuble qui les avait vus sur place en cette Saint Serge. Ils n’avaient aucune raison objective d’être présents à cet endroit. Ceci le confortait dans l’idée qu’il n’avait pas face à lui une seule personne mais un clan pour l’atteindre au plus profond, si ce n’est le détruire. 
Puis, il fallut réagir. Le plus simple était de prendre contact avec la grande. Posséder un téléphone portable résout beaucoup de difficultés de nos jours. Mais encore faut-il décrocher lorsque quelqu’un vous appelle ou bien répondre lorsque l’on vous adresse un message. Il en fit l’amère expérience. 
Dans un souci de faire bonne figure, là encore probablement conseillée dans la réalisation de son envol et ses suites, elle ne lui avait pas interdit de les appeler.
La petite et la grande n’avaient simplement plus rien à lui dire. En plus, les conversations devaient avoir lieu avec l’amplificateur activé afin de surveiller ce qui se disait. Les premières conversations n’avaient pas duré plus d’une minute. Il y avait là une certaine cohérence puisqu’elles avaient instruction de ne rien dire. 
En leur parlant, la seule conclusion à laquelle il arriva est qu’elles étaient encore vivantes. C’était déjà mieux que rien. Il ne savait toutefois pas où elles logeaient ni pourquoi elles l’avaient suivie si docilement et agissaient avec autant d’hostilité envers lui. Très peu de temps auparavant il les emmenait à l’école et faisait avec elles leurs devoirs. En somme, tout allait bien. Tout du moins en apparence. 
Alors, il se résolut à aller porter plainte ou déposer une main courante. Il ne savait pas très bien ce qu’il fallait faire mais il se dit qu’il devait marquer le coup. Qui ne dit mot consent à une envolée. Il n’y consentait pas.
Ce ne fut pas une partie de plaisir mais plutôt un passage obligé. Il savait que les commissariats de police sont le reflet des aspects les plus négatifs de la société. On y va rarement pour se réjouir. 

Il lui fallut affronter la première épreuve de l’attente dans une salle peu accueillante. Même la machine à café ne fonctionnait pas... Les victimes doivent avoir le temps pour pouvoir être entendues et se plaindre auprès de policiers qui n’ont que peu de disponibilités pour recevoir leurs récriminations. 
Après plus d’une heure d’attente, ce qui était un délai raisonnable, il raconta l’envol dont il avait été victime la veille comme d’autres étaient venus déclarer le vol de leur portefeuille ou de leur téléphone portable. Le brigadier de service en charge de sa déposition prit note de manière mécanique.
Il avait en face de lui une personne qui n’exprimait aucune réaction et qui était simplement pressée de terminer la rédaction de son procès-verbal pour passer au plaignant suivant. 
Une fois la rédaction terminée, le policier lui donna à relire. L’orthographe était négligée dans des proportions impressionnantes. Il espéra que le travail de terrain de la police était mieux géré. La suite de l’histoire le conduisit à penser que finalement l’orthographe n’était pas le pire des soucis après un passage au commissariat. Et comme il s’y rendit à plusieurs reprises, il ne put que conforter son opinion. 

Il se dit que la police ne devait pas être dotée des moyens suffisants pour traiter correctement toutes les plaintes. Alors, dans le lot, celles qui concernent des envols comme celui dont il avait été victime n’étaient probablement pas prioritaires. À se demander ce qui peut bien l’être. 
Les policiers doivent bien s’amuser lorsqu’ils reçoivent deux personnes qui s’accusent mutuellement. C’est ce qu’il se dit ensuite lorsqu’il découvrit plus tard qu’elle avait fréquenté le même lieu que lui quelques jours auparavant. Elle avait déclaré qu’il était dangereux, qu’il fallait la protéger, ainsi évidemment que la petite et la grande. C’était un élément de plus de sa préméditation. D’autres en avaient fait de même pour elle. C’était la preuve des complicités dont elle avait bénéficié. 
Il avait néanmoins eu le sentiment de faire ce qu’il devait faire. Même si tout cela ne débouchait sur aucun résultat. 
Le lundi suivant l’envol, il voulut avoir le cœur net et savoir si la petite et la grande étaient toujours scolarisées. Dès la première heure, il s’en enquit auprès de leurs écoles respectives. Ses deux interlocuteurs lui répondirent qu’ils n’avaient pas reçu d’information particulière les concernant. Puis, il ne fut pas appelé dans la matinée. Il en déduisit qu’elles continuaient à se rendre au même endroit. Il pouvait donc les voir à la sortie de l’école s’il le souhaitait. La réciproque semblait moins évidente. Il décida donc de s’abstenir de le faire pour leur éviter tout choc émotionnel. 
Il avait bien compris qu’elles n’en étaient pas désireuses. Le travail de sape qu’elle et ses complices avaient engagé devait avoir été méthodique et puissant. Un peu comme une dérive sectaire qui vous coupe de vos proches. Au cas d’espèce, d’une partie d’entre eux seulement. 
Les premières actions passées, il lui fallut ensuite apprendre à vivre sans elles dans ce grand appartement. L’une des trois ne lui manquait pas du tout. La petite et la grande énormément.

1. Du verbe envoler, non pronominal, créé par l’auteur, synonyme du verbe emporter.
2. Nom féminin synonyme de vol, de larcin.


 

Il ne savait que faire pour que les choses changent puisqu’il s’était dit qu’il n’irait pas les voir à la sortie des écoles pour les préserver et qu’il s’y tint. 
Finalement, quelques jours après l’envolée, c’est elle qui fit mine de sortir de l’impasse en lui adressant une requête afin de comparaitre devant le juge. Tout avait été soigneusement préparé, y compris sur le plan judiciaire. L’envolée, le choix de son nouveau domicile et désormais la saisine du juge avec des demandes abusives. En réalité, elle ne cherchait qu’à officialiser sa toute puissance et à le faire entrer dans un tunnel dont personne ne connaissait la sortie. Un tunnel étroit et sombre duquel il ne pouvait faire marche arrière.
Au contraire de ce qu’il pensait alors, le juge n’allait pas le protéger comme il répare le dommage causé à une victime. Dans le cas d’une envolée, il n’y a pas de bourreau, ni de victime. Il n’y a qu’un gagnant et un perdant. Dans l’immense majorité des cas, le juge privilégie le pôle de stabilité qui tourne autour de l’envoleur (3). Même si cela peut paraitre injuste, il se refuse généralement à modifier la situation qui lui est présentée. Il en fut ainsi pour lui. 
Voulant probablement bien faire et surtout retarder le moment de rendre sa décision, le juge décida de confier, pour une période limitée, le dossier à la psychologue du tribunal. L’un de ses derniers dossiers avant son départ en retraite. Il pensait qu’en en ayant vu d’autres, elle saurait l’analyser au-delà des apparences qui lui étaient défavorables. Il voulait qu’elle établisse qu’il s’agissait bien d’une envolée et que le travail d’éloignement se poursuivait au quotidien. Et surtout y mettre fin. 
Il s’était tout simplement trompé. Lorsque pour décrire la difficulté de sa situation il eut le malheur d’évoquer auprès de la psychologue que cela faisait huit semaines qu’il ne voyait plus la petite et la grande, elle lui répondit vertement que d’autres personnes dans son cas ne voyaient plus ceux qui leur avaient été envolés depuis huit mois pour certains ou huit ans pour d’autres. De quoi vous plaignez vous, Monsieur? 
Impuissante à le faire sortir du tunnel dans lequel il avait été placé malgré lui, la psychologue se mua en conciliateur pour tenter de remettre un peu de lumière dans la noirceur de son nouveau quotidien. Au terme d’une longue négociation avec elle, il fut décidé qu’il pourrait les revoir quelques heures un dimanche mais uniquement dans un lieu public.
À l’unanimité, le choix se porta sur un restaurant proche de l’ancien appartement commun. 
Le jour J, il arriva en premier avec le journal L’Equipe sous le bras. Il fit dresser trois couverts sur une table de quatre personnes. Elles arrivèrent peu de temps après. Au moment de s’installer, elle décida de rester de peur pour la petite et la grande qu’il ne les tue. C’est absurde! tenta-t-il de leur faire comprendre. En réalité, plus qu’absurde c’était inquiétant d’avoir de telles pensées. En vain. Son départ n’était pas négociable. Elle resta avec eux tout le repas, ce qui lui permit encore de surveiller toutes les conversations. Elles avaient à l’évidence pour instruction d’en dire le moins possible, comme par téléphone. 
Ce rendez-vous avait été programmé en vue de la reconstruction d’un lien qui s’était brutalement rompu peu de temps auparavant. Ce fut surtout la manifestation visible de la manipulation. Afin d’être en cohérence avec ce qui se déroulait, il décida de mettre un terme au supplice que la petite et la grande et lui également étaient en train de vivre. Quant à elle, elle savourait cette nouvelle victoire. 
La période de Noël approchait et la psychologue avait également pensé qu’il pouvait être bénéfique que la petite et la grande retournent à l’appartement avec pour mission de décorer le sapin de Noël. Un plaisir d’enfant fugace mais bien réel.
Après l’épisode raté du déjeuner cela pourrait donner l’occasion d’apaiser la situation. 
Alors, il prit sa journée pour passer un maximum de temps avec elles. Auparavant, il était allé acheter le sapin pour leur éviter cette fastidieuse mission puis il avait sorti les décorations du placard. Il y en avait suffisamment pour qu’elles soient occupées à le décorer avec ou sans lui. 
À dix heures, comme convenu, elles sonnèrent à l’interphone. Il ouvrit puis se pencha par la fenêtre et vit en contrebas qu’elles étaient quatre à se diriger vers le bâtiment où se situait l’appartement. La nourrice les accompagnait. 
Elles sonnèrent au second interphone. Il leur ouvrit de nouveau puis entrouvrit la porte de l’appartement. Il comprit que sans raison apparente, elles avaient délaissé l’ascenseur pour se rendre au troisième étage par l’escalier. Le son de leurs pas et de leurs voix commençait à se rapprocher.

Aussitôt arrivées au deuxième étage, il comprit que la grande avait décidé de rebrousser chemin en dévalant l’escalier. Si elle n’était pas organisée et résultait de son libre arbitre, cela devait s’apparenter à une fugue. 
Comme reprise de contact, il y avait mieux. Il ne lui était pas apparu pertinent qu’elles viennent accompagnées de la nourrice, elle aussi complice de l’envol, qui avait déclaré qu’il voulait tuer tout le monde. L’occasion donnée à la grande était belle de refuser de se rendre dans cet appartement qui pourtant n’était autre que le sien jusqu’à quelques mois auparavant. Elle la saisit sans hésiter et reproduisit à sa façon le scénario de la Saint Serge. 

La fuite ne fut toutefois que de courte durée. Elle n’était pas allée bien loin, à peine au coin de la rue. Il n’avait pas été très inquiet mais simplement triste que ce rendez-vous fut manqué et encore une fois pas de son fait. De nouveau, il ne comprenait pas un tel comportement irrationnel. 
En dépit de cet incident, la petite aurait pu aller seule chez lui pour décorer le sapin. Après tout, c’était également son appartement ; d’ailleurs le seul qu’elle ait connu avant l’envolée. Elle exprimait avoir trop peur et voulait impérativement être en présence de sa grande sœur. Elles avaient collectivement décidé d’écarter cette hypothèse. Il n’avait pas son mot à dire. 
Pour elles quatre, tout allait bien. Elles l’avisèrent qu’elles allaient déjeuner ensemble dans un restaurant de leur quartier, distant seulement de deux stations de métro du sien.
Elles ne lui avaient évidemment pas proposé de se joindre à elles.
Il patienta pour connaitre le sort qui lui serait réservé. 
La solution de compromis qui lui fut proposée fut de retrouver la petite et la grande une partie de l’après-midi dans une galerie commerciale proche de leur domicile. Même si cela ne correspondait pas à l’accord initial et encore à sa défaveur, il accepta. 
Après un petit tour tous les trois, ils décidèrent d’aller prendre un goûter dans un endroit au nom prédestiné. La Favorite. Cela devait être un signe du destin qui s’acharnait contre lui. 
Lors de ce court moment passé ensemble, leur capacité à cacher leurs émotions derrière un masque d'impassibilité le frappa. En d’autres circonstances, on aurait appelé cela Poker Face. L’expression de leur visage était proche du néant. 
Entre la balade dans la galerie commerciale et le goûter, la durée de leur rencontre fut à peu près équivalente à celle du déjeuner au restaurant et de nouveau dans un lieu public.
Cela en était fini des tentatives de reprise de contact. Il voulait faire remarquer qu’elle avait tout fait pour les faire échouer. Ceci semblait accessoire dès lors que la petite et la grande ne souhaitaient pas le voir. La psychologue du tribunal se reconnut impuissante. Comme quoi une longue expérience ne permet pas de résoudre toutes les difficultés. 

Seul le juge pourrait alors décider s’il allait les revoir et surtout selon quelles modalités. Il commençait à en douter car aucune des trois ne le désirait et il lui sembla que leurs avis étaient déterminants. Un expert psychiatre avait été désigné pour mieux comprendre la situation. Il se contenta de mesurer le fossé qui s’était creusé en si peu de temps sans se soucier des causes ni évidemment proposer de solution pour sortir de cette impasse.

La petite et la grande avaient ensuite demandé à être entendues par le juge. Elles tinrent un discours rigoureusement similaire malgré un important écart d’âge.

3. Nom masculin qui désigne celui qui commet un envol.

 


Le juge ne chercha pas à caractériser une quelconque manipulation dont elles feraient l’objet qui les priverait de leur libre arbitre. Quelques semaines plus tard, il reçut la décision du juge. Il aurait le droit de voir à son domicile la petite et la grande, ensemble, un week-end sur deux.
Le temps des vacances lui avait été retiré. En fait, il payait seul et très cher le conflit qu’elle avait inventé de toute pièce pour disposer seule de la petite et de la grande. Comment dans ces conditions pouvait-il tenter de reconstruire un lien très fortement abimé? Si cela devait en être nécessaire – en réalité, c’était indispensable – tout suivi avec un thérapeute était impossible. Elle refusait qu’il les voie en semaine et les praticiens ne travaillent pas tous le week-end. C’était donc mission impossible et ce surtout que la grande allait à l’école le samedi matin et qu’il fallait intercaler les nombreuses activités extra-scolaires. 
Il se résolut néanmoins à exercer le peu de droits qui lui étaient confiés. Alors qu’elles avaient chacune une grande et belle chambre, pour sa première nuit après le retour à l’appartement, la petite le supplia de dormir dans la chambre de la grande. Accéder à sa demande était pour lui une forme d’acceptation de la manipulation. Refuser reviendrait à créer une impasse supplémentaire. Elles dormirent donc dans la même chambre. 
Les expériences n’étaient pas concluantes et souvent émaillées de tensions basées sur des arguments qui ne cessaient d’évoluer au fil du temps. De la peur qu’il ne les tue, elles lui reprochèrent de ne plus payer pour elles, ce qui était faux et surtout qui ne les regardaient pas. 
Lors de leurs rares séjours, lorsqu’il n’y avait pas de tensions, l’ambiance était neutre. Jamais joyeuse. Evidemment pas affectueuse de leur part. Au contraire d’elle, il avait perdu tout statut auprès de la petite et de la grande. Il n’était plus pour elles que « Tu » ou « Il ». Tout autre qualificatif avait disparu. La déconstruction se mesurait aussi dans le langage. 
Aucune fête n’était célébrée, ni aucun anniversaire. L’écoulement du temps était une plate fatalité. Parfois un dialogue s’instaurait sur un sujet qui devait être banal et ne rien conduire à révéler de leur nouvelle vie. Un soir, il put échanger un peu plus librement avec la grande pour tenter de la faire s’exprimer librement. À court d’arguments, elle préféra mettre un terme à la discussion et se réfugia dans sa chambre sans manger ce qui ne lui ressemblait pas. Encore une fois, il ne s’en inquiéta pas et dîna avec la petite qui accepta de regarder avec lui un programme à la télévision. 
La nuit n’était pas encore tombée en cette fin de printemps que la sonnette résonna sans que les deux interphones fussent actionnés. Il se dit que cela devait être l’un de ses voisins qui avait besoin de quelque chose ou un invité qui s’était trompé d’étage. Il fut surpris de voir la grande courir vers la porte d’entrée et se précipiter pour ouvrir la porte sans précaution. À sa surprise, il découvrit de nombreux policiers venus le mettre en garde à vue à son domicile. Deux policières se dirigèrent vers les chambres pour auditionner la petite et la grande séparément. Quant à lui, cinq policiers l’encerclèrent dans son salon. Au demeurant, ils n’étaient pas désagréables. Ils ne devaient simplement rien faire là et avaient probablement mieux à faire pour assurer la sécurité des citoyens. 
Après plus de trois quarts d’heure, les deux policières qui avaient entendu la petite et la grande revinrent et échangèrent quelques mots avec leur responsable. Ce dernier se tourna ensuite vers lui pour lui signifier la fin de sa privation temporaire de liberté. Ils se retirèrent comme ils étaient venus, sans suite. On ne peut exclure une affabulation, lui dit-il comme pour l’acquitter d’un crime qu’il n’avait pas commis. 
Il préféra ne pas évoquer cet épisode avec la petite et la grande. Pour autant, malgré tous les efforts qu’il produisait, la désaffection continua de croitre. Elles n’hésitèrent pas à lui infliger toute une série d’épreuves les plus difficiles les unes que les autres. Pour ne pas venir le voir, le plus simple était de le lui hurler et lui répéter en continu jusqu’à ce que ses nerfs craquent. Elles étaient manifestement résistantes. 
Elles étaient également aventureuses pour avoir tenté de s’envoler de chez lui. Une fugue organisée et sans grand danger avec toutes leurs affaires pour ne laisser aucune trace de leur passage. Elles étaient attendues pas très loin, ce qui limitait le risque. Lorsqu’il réalisa qu’elles étaient parties en pyjama, il ne put s’empêcher de sourire malgré la tristesse de la situation. 

Après l’hébètement de cette mauvaise expérience, il sut exactement ce qu’il devait faire lorsque la fugue se réédita quelques semaines plus tard. Il se rendit directement au commissariat de police où il croisa le brigadier qui avait géré sa garde à vue à domicile qui le reconnut. Armez-vous de patience, elle exploite le système, lui dit-il. Le constat était lucide mais malheureusement peu réconfortant. 
Finalement, il y avait une fatalité à aboutir au résultat qu’elle avait programmé bien avant la Saint Serge. 

Cela faisait désormais des années qu’elle les avait envolées et qu’il n’avait plus de contact avec elles. La grande était devenue majeure. 
La rupture du lien était très douloureuse mais son supplice n’était toutefois pas terminé. Depuis le premier jour, et quelles que soit ses relations existantes ou non avec la petite et la grande, il devait supporter la moitié du coût de leur train de vie dispendieux et de leurs études en écoles privées pour lesquelles il n’est jamais consulté. Malgré ses revenus très confortables et sans compter ceux qu’elle avait dissimulés, elle n’avait pas voulu rompre le lien de l’argent avec lui, ni celui du mariage. Au point que cela en devenait absurde. 
L’envol avait fonctionné à merveille. Depuis plusieurs années, le recel s’exerçait en toute impunité. Hormis ses proches, dans cette histoire tout s’acharnait contre lui. Il était convaincu qu’il ne les reverrait plus mais il ne lui était pas permis de faire totalement son deuil.
Avec le temps qui passe inexorablement, il était contraint d’accepter les effets de l’effacement du passé. Tous ceux qui y contribuaient devaient donc considérer que cet envol et le recel qui s’en est suivi leur aura été profitable.

SORTIR DU CAUCHEMAR

le témoignage et les conseils D’uNE mÈRE qui a traversé l’épreuve de l’exclusion parentale

J'ai perdu le lien affectif des mes deux garçons de 11 et 14 ans à la suite de ma séparation avec leur père en avril 2020 dans un climat de violences psychologiques majeures avec du harcèlement par SMS, par violences verbales contre moi de sa part et des paroles immondes sur moi et ma vie sexuelle répétées par mes enfants et ce pendant 3 longues années (3 avocats , 4 jugements).
J'ai cherché de l'aide et je suis sortie de ce cauchemar après 3 ans de bataille au cours desquelles j'ai failli mettre fin à mes jours (en août 2020).
Je ne souhaite pas raconter le détail de cette expérience abominable que les parents d'enfants "manipulés" ou "aliénés" vivent et je connais l'enfer que cela peut être.
Je souhaite aussi témoigner en tant que mère car dans la majorité des cas les enfants touchés par cette problématique sont manipulés par leur mère ; je fais partie des cas restants.

Voici les extrait des éléments que j'ai pu envoyer au Procureur de la République pour mise en danger des mes enfants:

« Il faut reconnaître la vérité : il s'agit d’une emprise, et pas d’autre chose. C'est une violence que j'ai subi et que mes enfants également ont subi par l'effet de la manipulation. Cela les place dans une position très difficile qui a des conséquences sur leur état psychique à long terme et leur évolution d’adultes.
ll faut avoir simplement le courage de voir qu'il s'agit d'une  violence familiale majeure dont mes enfants et moi-même sommes victimes. On peut la nommer « aliénation parentale » ou « emprise ».
Mes enfants sont galvanisés par leur père contre moi depuis deux ans. Tous trois forment une sorte de trio qui me bannit de la famille parce que j'ai quitté Monsieur X pour une relation amoureuse avec une autre personne, de surcroît une femme.
Il répète « tu Nous as trompés…. avec cette grosse pute » - je cite. « Kékette » - répété pendant des semaines devant eux  (en mars et en  avril  2020).
Il a écrit à mes parents une lettre de dénigrement à mon encontre (mes parents ont 88 et 90 ans). Sa sœur m’a également fait un courrier très vindicatif à mon égard en l’envoyant à ma sœur également.
Pris à témoin par leur père pour partager avec lui sa rage, son humiliation, mes fils ont pris faits et cause pour lui. Le père les autorise à transgresser une place familiale qu'ils n'ont pas à prendre, celle de juge, ou procureur de leur mère.
Sans aucune limite de violence à mon égard, ils sont dans la toute-puissance, l'injure, l'invective, le mépris, le discrédit. Leur père leur a donné carte blanche pour se défouler. Il m'a même avoué cette attitude en thérapie familiale :  « les enfants veulent te punir » sans aucun recul de sa part sur les dégâts occasionnés sur eux. Je crois que tout est dit dans cette phrase. 
À noter toutefois que ce comportement n'est orienté qu'en ma direction, et que les domaines scolaires et péri-scolaires n'ont rien remarqué. 
Les mesures déclenchées par les professionnels du travail social depuis deux ans ont été plutôt inefficaces dans leur action mais toutefois clairvoyantes dans leurs écrits (juge, assistants sociaux, thérapeute, éducateur d’AEMO).
Le diagnostic est là. Il n'y qu'à lire les écrits, rapports et témoignages. La situation dure depuis 2 ans et 4 mois »
Aujourd'hui mon fils de 18 ans en est sorti mais le plus jeune est encore très fragile et insécurisé. 
En quelques mots, il faut rompre l'emprise et faire appel à des tiers et ce le plus rapidement possible pour faire éclater la vérité ; j'ai sonné à toutes les portes possibles et aujourd'hui pour la 1ère fois depuis 3 ans mon fils de 14 ans m’appelle "maman".

 

M. LE JUGE

une chanson qui dénonce la DÉFAILLANCE du système judiciaire DANS LA PRISE EN COMPTE DES situations d’exclusion parentale

 

Voici les éléments les étapes qui m'ont aidés et que je peux conseiller, bien sûr chaque cas est différent mais le phénomène est toujours le même avec plus ou moins d'intensité :


1. Porter plainte pour violences psychologiques. Je ne l'ai fait que beaucoup trop tardivement, il faut le faire tout de suite. Faire appel à des associations de protection: France victimes , VIF etc , sortir de la solitude et de l'isolement est la clef car le parent rendu étranger à ses enfants est banni.

2. Tenir un journal, garder des preuves des violences.

2. Se faire aider psychologiquement.

3. Se protéger soi-même.

4. Lire des livres sur l’aliénation parentale pour vérifier si la situation répond aux critères. 

5. Ne pas écouter les témoignages insoutenables des parents qui n'ont jamais revu leurs enfants ; ça n'aide pas, bien au contraire.

6. Trouver un avocat spécialisé qui connait parfaitement le phénomène.

7. Demander au minimum une AEMO (peu efficace mais c'est un cadre de suivi) par un JDE.

8. Obtenir si possible une expertise psychiatrique ou psychologique.

9. Si vous avez plusieurs enfants, ne les recevez pas en même temps ; c’est un point fondamental pour désamorcer la bombe de leur haine et ce même si la loi vous y oblige (poser une main courante, le déclarer au juge etc ).

10. Respecter la loi (si ce n'est pas possible, le déclarer).

11. Ne jamais dénigrer l'autre parent devant les enfants mais leur dire que l'on n'est pas dupe.

12. Essayer si possible de proposer un soutien psychologique des enfants (pas toujours accepté) ; ne pas les forcer, le faire obtenir par la justice si possible.

13. Les ramener chez le parent manipulateur si ils sont ingérables plutôt que de subir leurs attaques, en laissant une main courante à la police ou gendarmerie.

14. Ne jamais "quémander" leur affection ; rester ferme mais ouvert c'est le plus difficile.

15. Garder des amis, une vie sociale, un travail pour se maintenir à flot.

16. Ne jamais fermer la porte; leur envoyer des messages même si on n'a pas de réponse ; maintenir le lien même à distance.

17. Partir en vacances avec eux loin de chez vous en lieu neutre dans un pays étranger. 
18. Ne pas attendre que les enfants soient majeurs, ne pas croire les gens qui disent que ça va s’arranger avec le temps ; au contraire il faut se battre tout de suite, c’est primordial.

Emmanuelle


 
 
Décrire et dire la violence est un pas vers la paix
— Dorothée Dussy, "Le berceau des dominations", p. 29
 
 

DANS LA NUIT DU SOUVENIR

Le témoignage d’ANNE-LAURE, QUI A FAIT l’EXPÉRIENCE, PENDANT SON ENFANCE, DE l’exclusion parentale

Pendant très longtemps, j’ai gardé cette carte d’anniversaire à la couverture bleu ciel. On y voyait un clown tenant des ballons de baudruche. Il était surmonté d’un message de bon anniversaire. Quand j’ai ouvert la carte pour la première fois - l’année de mes 11 ans - j’ai été frappée par la musique en complet décalage avec le message festif : j’y entendais la tristesse et la nostalgie dans cette étrange mélodie. Le message écrit par mon père disait « Bon anniversaire, j’aurais aimé le fêter avec toi, mais tu n’as pas voulu ». 
Message que j’ai longtemps interprété comme une tentative de me culpabiliser et de me gâcher la fête. Malheureusement autour de moi, personne n’a volé à mon secours pour m’apporter d’autres clés de lecture. Ce n’est qu’aujourd’hui, avec beaucoup de recul que j’ose une autre interprétation : celle d’un « moi aussi je souffre », teinté de résignation. À l’époque il m’était impossible d’imaginer que le Monstre pouvait souffrir. Mais finalement, le monstre, c’était plutôt moi. Oh, pas un monstre au sens de bête inhumaine et vide de sentiments, mais plutôt comme la chose instrumentalisée par son créateur.
 Ce qui me manque le plus, c’est la mémoire. Tout s’est mélangé, tout est parti en lambeaux et parfois me remontent des bribes tellement furtives qu’elles me font l’effet de flashs. Toutes ces années sous influence m’ont rendue contemplative de ma propre vie et mes souvenirs ne se sont pas fixés correctement.
 Parfois je confronte les pauvres lambeaux de ma mémoire que je tente de retenir avec ceux de ma sœur, mais je constate que ses souvenirs aussi sont mal assurés. Alors ensemble on se coud un patchwork de souvenirs – une couverture de monstres. Et j’imagine que nous sommes très loin de la réalité. Il peut arriver que notre mère - le temps lui faisant baisser sa garde - nous livre quelque bribe de souvenir dont j’ignore la part de vérité. Mais c’est pour moi comme un trésor, une découverte sans prix. Il y a quelques mois, j’ai appris le véritable métier qu’exerçait mon père (à presque 41 ans!). Je me suis sentie comme une orpheline dont on retrouverait des traces de ses parents. Ce qui est insidieux, c’est que ma mère est à la fois la principale instigatrice d’un travail d’effacement, et en même temps la seule dépositaire du souvenir de mon père. 
J’ai le sentiment d’avoir grandi les pieds dans l’argile : mon histoire – qui en toute logique devrait être un gage d’immuabilité - est devenue pour moi une source d’angoisse car elle est encore en construction. Ma mémoire a été mon garde-fou pendant mon enfance : elle a supprimé les souvenirs (surtout les bons), pour m’empêcher de trop souffrir. Sans en avoir de traces, comment un être peut-il nous manquer ?
Je me souviens de cela : quand mes parents ont divorcé, les photos de mon père ont migré dans des cartons, voire à la poubelle. Du jour au lendemain, « papa » est mort, et « ton salaud de père », « ton père », « ton égoïste de père » avec sa nouvelle compagne (« l’autre », « sa pute », et j’en passe) l’ont remplacé. Exit les photos de famille, exit les bons souvenirs du passé. À en croire maman, il n’y en a jamais eu.
Aujourd’hui le temps a passé, aujourd’hui moi aussi je suis mère. J’espère ne jamais reproduire sur ma fille ce que j’ai subi, et j’espère ne pas adopter les mêmes attitudes ou paroles insidieuses que ma mère nous a soufflées. J’espère ne jamais infliger à ma fille un choix qui lui sera impossible de faire sans se détruire et se punir. J’exerce en permanence une veille sur mon rôle de mère. Là encore, difficile de se départir de son identité d’enfant manipulé.
 Aujourd’hui, ma mère est toujours dans le déni, et je pense qu’elle est tellement enkystée dans son refus de voir la vérité qu’elle a d’une certaine manière également souffert et payé le prix de ses erreurs. Elle s’est figée, comme statufiée pendant son divorce.
 Mon père a dû …. Je ne sais pas finalement, je ne sais rien de ce qu’il a dû affronter.
La dernière fois que j’ai ouvert sa carte, elle ne chantait plus. La pile avait rendu l’âme. D’un certain côté, c’est reposant – j’ai arrêté de culpabiliser. Il était temps, cela fait 30 ans maintenant.

Anne-Laure, mars 2024

 

SÉPARATIONS AVEC ENFANTS

UN ESSAI DE MARIE-FRANCE HIRIGOYEN

Dans son nouvel essai, qui vient de paraître aux éditions La Découverte, Marie-France Hirigoyen - la première psychologue en France à parler de harcèlement moral et à utiliser le terme de « pervers narcissique » - se penche sur la question de la souffrance des enfants lors des séparations des parents. Elle y distingue le conflit « normal» (qui peut parfois s’avérer constructif), le contrôle coercitif (dans lequel l’un des parent se sert d’intimidations et d’humiliations pour rendre son partenaire dépendant), le conflit sévère (qui peut avoir un impact sur l’enfant) et l’ « aliénation parentale ». « Ce dernier cas - précise la psychologue dans un entretien paru dans les colonnes du Monde magazine - n’est pas le plus fréquent mais il existe et il faut pouvoir en parler, j’ose la nommer en sachant qu’on ne sera pas d’accord avec moi. Je suis consciente de mettre les pieds dans le plat (…) ». Pour Marie-France Hirigoyen, l’ « aliénation parentale » (ce que nous appelons, dans le cadre de notre projet, « exclusion parentale ») « c’est lorsque un enfant est amené à ne plus vouloir de lien avec l’autre parent. Ce n’est pas genré ». Vu que le terme de « syndrome » suggère la maladie, elle préfère parler de « situation d’aliénation parentale » et non pas de « syndrome d’aliénation parentale » : l’enfant qui rejette l’un de ces deux parents n’est pas malade, mais il est manipulé par l’autre parent, pas forcément de manière consciente d’ailleurs. Or, « l ’enfant a le droit d’avoir accès à ses deux parents, de façon égale. Il s’agit de reconnaître une violence faite aux enfants, une atteinte portée à leur droits. Une violence psychologique, du registre de l’emprise ».

Un texte fondamental, d’une précision et d’une justesse remarquable. À lire absolument.

 
Ils pourront couper toutes les fleurs, ils n’empêcheront jamais le printemps
— Pablo Neruda
 

VISAGES DE LA PERVERSION

un essai de FRANCK A. BELLAICHE

Dans ce livre, qui est un véritable réquisitoire contre les négligences de l’apparat judiciaire et de l’ensemble des professionnels qui interviennent dans le cadre de la « protection de l’enfance », le psychiatre Franck A. Bellaiche décrit d’une manière très juste, au vu des récits que j’ai pu entendre lors de mes entretiens avec les parents rencontrés dans le cadre de mon projet, le déroulement de l’emprise mise en acte dans l’exclusion parentale ainsi que le profil psychologique du parent « abuseur » (à savoir celui qui, en manipulant son/ses enfants, écarte l’autre parent) : « un processus de reenactement par un parent narcissique/borderline qui, victime lui-même d’un attachement traumatique, le rejoue une génération plus tard, ainsi réalisant une transmission transgénérationnelle du trauma. L’enfant, étant induit à occuper la place du parent anciennement abusé, devient ainsi la victime abandonnée et maltraitée du parent cible devenu de façon imaginaire et manipulatoire abuseur et menaçant, menace fictive qui va activer le système d’attachement de l’enfant, qui se rapprochera d’autant plus du parent véritablement ‘aliénant’ ; l’enfant bénéficiant alors d’être placé dans un rôle gratifiant d’égal à égale avec l’adulte qui présente une pathologie de la personnalité narcissique/borderline, dans une forme de coalition pathogène. (….). L’enfant et alors mis en position de régulateur émotionnel face à ce parent qui pourrait basculer dans la colère ou la dépression (insupportable), et qui menace explicitement de rejeter l’enfant s’il ne correspond pas à ses attentes. L’enfant se voit ainsi missionné d’assurer la stabilité de la cohésion narcissique du parent pathologique, totalement pris dans un renversement de rôles, au mépris de son autonomie psychique et de son développement » (Bellaiche, Psymulacres. Visages de la perversion, pp. 121-22)
Bellaiche ne nie pas évidemment l’existence de cas où un père ou une mère violent/e accuse faussement (sans preuve aucune) son ex-partenaire afin de pouvoir continuer à exercer sur son/ses enfants de la violence ou l’inceste mais pointe justement que « si l’argument visant à discréditer une mère protectrice en l’accusant d’aliéner ses enfants est un grand classique chez les pères incestueux, cela ne doit nullement masquer la situation inverse (…) où une mère profondément maltraitante utilise ce subterfuge et accuse le père d’abord de violences conjugales, puis de négligences, puis de conduites incestueuses, pour discréditer le père et couper définitivement le lien entre l’enfant et ce dernier » (pp. 138-139). 

La perversion - affirme Bellaiche - n’est pas une affaire de sexe ou de genre. Et si les femmes - comme les statistiques l’indiquent - sont majoritairement responsables des infanticides et des homicides sur mineur de moins de 15 ans - on ne peut pas nier à priori les potentialités maltraitantes des mères présentant de graves troubles de la personnalité et donc la possibilité d’un « infanticide psychique » de la part d’une mère (comme de la part d’un père). « Le combat contre toutes ces violences doit être (….) mené de front et de manière conjointe et non clivée ou dissociée, face à ces diverses déclinaisons de l’incestualité et du meurtriel : inceste et relation d’emprise » (p. 140).

photo © Marco Barbon

 
 
 
Si l’argument visant à discréditer une mère protectrice en l’accusant l’aliéner ses enfants est un grand classique chez les pères incestueux, cela ne doit nullement masquer la situation inverse (…) où une mère profondément maltraitante utilise ce subterfuge et accuse le père d’abord de violences conjugales, puis de négligences, puis de conduites incestueuses, pour discréditer le père et couper définitivement le lien entre l’enfant et ce dernier 
— Franck A. Bellaiche