Adeline

Rédactrice médicale, 47 ans, vit à LOIRé (Maine-et-loire)

 

photo © Marco Barbon

Le dernier Noël ensemble

 

« J’ai perdu mes garçons le jour où j’ai quitté leur père… Et même s’ils ne l’ont rejoint qu’après 5 ans de lutte juridique et procédurière, j’ai passé ces 5 années dans la hantise de tout ce que je faisais tant ils avaient consigne de rapporter le moindre incident, le moindre faux-pas, le moindre mot de travers, afin de me faire passer pour une mère maltraitante, négligente, alcoolique, dépravée… 
Cinq ans à ne pas profiter du bonheur d’être maman tant ils étaient dans le rejet de tout ce que je pouvais leur proposer. Toutes ces fêtes et sorties d’école où je n’existais plus car leur père était là…
Cinq ans à rester digne malgré l’image négative qu’on véhiculait de moi, à essayer de faire de mon mieux pour préserver leurs vies d’enfants en sollicitant de l’aide autour de moi (services sociaux, éducateurs, psychologues,…) sans m’imaginer un seul instant que ces mêmes services allaient faire basculer nos vies… L’épée de Damoclès a fini par tomber un vendredi 5 mars 2021. Après de nouvelles dénonciations de leur part, le service AEMO a sollicité une mesure de placement, et ils ne sont pas revenus des vacances de février… Ils sont restés chez leur père sans qu’on ait pu se dire au-revoir, et sans aucune perspective de les revoir autrement qu’en lieu médiatisé. Pendant plus d’un an après leur départ brutal, ma vie s’est arrêtée. Je me suis réfugiée dans le travail pour ne pas penser… Je n’ai pas pris de vacances, pas fêté mon anniversaire, pas célébré Noël ni le Nouvel An…
Car comment accepter de vivre avec une maison toujours bien rangée, pleine de jeux, livres, BD, et déguisements qui ne servent plus? un grand véhicule vide? des albums photos interrompus? des courriers sans réponse? des cadeaux sans merci? des rdv parents/prof sans enfants? des bulletins scolaires sans possibilité de les féliciter? 
Aujourd’hui, mes 3 aînés revendiquent le droit de m’exclure complètement de leur vie, et refusent tout contact avec moi et tous les membres de ma famille, ne nous voyant plus que comme des personnes nuisibles qu’il faut bannir à tout prix. Seul Fabien *, mon petit dernier, fait face au clan et revendique le droit de m’aimer et de me voir. 
De mon côté, il n’est pas une journée sans que je pense à eux, ils sont partout dans ma maison. Je leur écris régulièrement dans leur journal de bord attitré, et continue à suivre de loin leur quotidien en restant en lien avec les écoles, les psys… Parfois, j’aperçois leur silhouette à la fenêtre lorsque je ramène Fabien le dimanche soir, et c’est pour moi un immense cadeau! En tout cas, c’est la seule chose dont je dois me contenter aujourd’hui… 
Car à ce jour, les choses semblent figées, et je sais que la justice ne changera rien à cet état de fait, ce ne sont pas les procédures judiciaires ni les mesures d’accompagnement qui permettront de recréer le lien… Or, c’est le lien qui compte, et c’est ce qui rend magnifique ce projet Le soleil même la nuit : nous permettre, à nous, parents dévastés par la perte de nos enfants, de témoigner que la mise à distance ne rompt pas ce lien d’amour et que l’on peut survivre à cette épreuve terrible. Certains jours sont plus durs que d’autres bien sûr (notamment le jour de leur anniversaire ou de la fête des mères…), mais l’amour et l’espoir aident à avancer, à se reconstruire, et à vivre autrement notre relation avec nos enfants. Une relation différente, et bien loin de celle qu’on avait imaginée, évidemment, mais basée sur un amour indestructible et inconditionnel, dans lequel on puise pour trouver la force de rester debout. 
C’est comme si la vie avait redistribué les cartes et qu’il nous faille avancer malgré tout avec le nouveau jeu qui a été mis entre nos mains, en espérant qu’un jour nos chemins se rejoignent enfin…».

Adeline, février 2023

* pour préserver leur anonymat, les prénoms des enfants ont été modifiés

 

photo © Marco Barbon