Christine

thÉrapeute, 60 ans, vit à Strasbourg (bas-rhin)

 

photo © Marco Barbon

La bouée

 

Mon Émilie*,

Cela fait bien longtemps que j’aimerais pouvoir te dire ces mots. Cette lettre, comme d’autres ainsi que le cahier que je tiens, ne te parviendra pas, je le sais.
Émilie, j’ai une gratitude infinie pour tout le bonheur que tu m’as donné pendant toutes ces années et tout ce que j’ai appris de moi aussi qui m’a fait grandir depuis que tu es née.
Tu sais, si je suis allée voir un juge, c'est que j’estime que c’est important qu'une petite fille - et même une grande -puisse voir ses deux parents, ta maman et moi. L’expert judiciaire Monsieur V. qui t’a entendue avait rapporté que tu lui avais dit lors d’un entretien - devant ta maman- que tu voulais me voir plus souvent et plus longtemps. Alors… c’est pour toutes ces raisons que j’ai fait appel à la justice. Mon seul souci pendant toutes ces années était de pouvoir préserver la relation qui nous unit, même si ta maman ne le souhaitait plus.
L'une des dernières fois que je t'ai vue, je t'ai dit que je voyais bien que cette situation devenait peut être difficile pour toi. Et j’avais ajouté que si cela devenait trop difficile pour toi et que tu décides un jour de ne plus me voir, je ne t’en voudrai jamais. J’avais ajouté que mon cœur et ma maison seront toujours tout ouverts pour toi.
Tu sais, j’étais bien là au moment de ta conception.
J’étais là aussi pendant toute la grossesse qui a été un immense bonheur pour ta maman et moi à l’idée que tu allais arriver dans notre famille.
J’étais là le jour de ta naissance, je t’ai vu naître. À peine étais-tu née que je t'ai prise dans mes bras pour te faire le premier gros câlin de ta vie. J’étais émue, si heureuse et si fière de te tenir dans mes bras. C'est le jour le plus important de ma vie. Je t’ai montré la photo, t’en souviens-tu?
Et j’ai même annoncé ta naissance à l’État Civil de Nice. La dame a été heureuse de me mentionner dans ton acte de naissance.
Je me suis occupée de toi dès les premiers jours de ta naissance. J’ai même arrêté de travailler pour m'occuper de toi. Et ces temps-là n’ont été que du bonheur.
J’ai beaucoup grandi à tes côtés. J’ai compris que j’avais réussi le pari d’être, je crois, une bonne maman. Tu étais une petite fille si facile, si drôle et affectueuse.
Puis un jour, j’ai décidé de me séparer de ta maman, car nous n’étions plus en accord sur certaines choses d’adultes, mais au grand jamais de ne plus te voir. Et j’ai continué à être très présente, à venir te garder dans notre maison. Puis vous avez emménagé dans une autre maison et je suis venue pour t’y garder jusqu’à tes quatre ans.
Comme ta maman et moi n’étions plus du tout d’accord, je suis allée voir un juge pour protéger notre relation parentale. Et nous avons commencé à nous rencontrer à l’espace rencontre, dans l’attente d’obtenir un droit de garde et d’hébergement.
Nous y avons fêté tous tes anniversaires jusqu’à ton huitième anniversaire. Ces moments toujours trop courts à mon goût et au tien, nous ont permis de continuer à nous voir.
Nous avons joué et dessiné et discuté et rigolé et appris des poèmes.
Nous avons fait aussi plein de balades, de baignades, de jeux et de blagues. Et je t’ai vu grandir.

Émilie, je me souviens de tes premiers pas.
Je me souviens de tes premiers mots.
Je me souviens de tes premiers "i", et de cette première fois où tu as écrit ton prénom.
Je me souviens de tes premiers mètres en trottinette.
Je me souviens la première fois où tu as nagé. C’était à la plage de la Paloma à Saint-Jean-Cap-Ferrat, tu n’arrêtais pas de crier en sautant partout: je nage, je nage, je nage!…
Te souviens-tu de nos moments de jardinage sur la terrasse? Tu te promenais avec ton petit arrosoir et tu disais que tu voulais devenir fleuriste.
Je me souviens de nos ateliers cuisine où on a fait de la pâte à crêpes et même des galettes végétariennes en forme de coeur.
Je me souviens de ces dessins partagés où nous nous racontions des histoires.
J’ai toujours ta liste de mots rigolos qui attend qu’un jour si tu le souhaites, on la continue.
Je me souviens de ta façon de marcher, bouger, de ton humour.
Je me souviens de cette dernière merveilleuse journée à la plage de la Paloma. Nous avons passé la journée dans l’eau. Je t’avais offert un masque et tu nageais sous l’eau. On a joué et rigolé toute la journée, quel grand bonheur!!! Et nous avons fait de superbes photos nous deux au cœur de cette grande bouée.
Tous ces moments merveilleux partagés emplissent mon cœur d’un amour infini pour toi, bien « plus haut que les montagnes et les étoiles et plus profond que les océans » comme on le disait toutes les deux.

Je me souviens être venue chez toi pour te chercher et passer nos premières vacances d’été ensemble depuis tout ce temps. La porte était close. Le téléphone de ta maman ne répondait pas. Je t’ai attendue et tu n’es pas venue. Tu n’étais pas chez toi.
Je me souviens des vacances suivantes où là encore je suis venue te chercher, la boule au ventre en ayant peur que tu ne sois pas là non plus.

Ainsi ton absence a commencé.
Le juge a ordonné que l’on se voit en espace rencontre à nouveau pour maintenir le lien, mais tu n’as pas été présentée…
Tu as déménagé récemment et je ne sais même pas si tu vis encore à Nice.
Le lien qui nous unit toi et moi, est bien plus fort que le fait que je ne puisse plus te voir. Je t’aime et t’aimerai toujours, Émilie.
Et j'alimente toujours en pensée ta réserve de bisous, petit rituel que j’avais mis en place pour que tu puisses être rassurée de mon amour entre les visites ordonnées par le juge.

"Ta" Christine qui t’aime

Strasbourg, le 22 avril 2024

* Afin de préserver son anonymat, le prénom de l’enfant a été modifié

Je me souviens de cette dernière merveilleuse journée à la plage de la Paloma. Nous avons passé la journée dans l’eau. Je t’avais offert un masque et tu nageais sous l’eau. On a joué et rigolé toute la journée, quel grand bonheur!!! Et nous avons fait de superbes photos de nous deux au cœur de cette grande bouée.
Tous ces moments merveilleux partagés emplissent mon cœur d’un amour infini pour toi, bien « plus haut que les montagnes et les étoiles et plus profond que les océans » comme on le disait toutes les deux.