Catherine
ARTISTE, née en 1965, vit à LES HOUCHES (haute-savoie)
Les souvenirs suspendus
J’ai eu quatre enfants. Mes plus grands ont 30 et 33 ans, je m'étais mariée jeune et leur papa et moi nous nous étions vite séparés. Ils sont merveilleux et sans eux je n'aurais pas eu la force de tenir.
Mes deux derniers enfants, le fruit d'une autre union, ont aujourd'hui 21 et 24 ans. Je me suis séparée de leur papa lorsqu'ils avaient 9 et 11 ans. J'avais accepté la garde alternée par soucis d'équité, et je la croyais bonne pour les enfants. Dans le jugement de divorce prononcé pour faute contre mon ex-mari, il est décrit comme « violent psychologiquement, autoritaire et d'une jalousie excessive ». Ce jugement pour moi est important, il met un frein à la culpabilité que l'on ressent et qui ronge lorsqu'on est rejeté(e) par un enfant.
Après six années de combats juridiques qui m'ont mise au tapis, mon ex-conjoint a réussi à les emmener à Palm Springs, en Californie. Ma fille Emma était un ange, elle rêvait d'être danseuse classique, avant même de marcher correctement elle dansait. Je me souviens des jolis ballets improvisés qu'elle faisait tous les soirs avant d'aller se coucher, juste avant l'histoire du soir. Puis de son tutu en tulle pour son premier spectacle. Je l'ai toujours...
Mon fils Mike avait une petite bouille de bande-dessiné, tout roux avec ses yeux qui pétillaient et un caractère qui allait avec. Il rêvait de liberté, de musique, il faisait de la batterie et avait gagné un 1er prix au concours départemental de musique du conservatoire, j'étais si fier... Il aimait aussi la neige, le ski, la montagne et les vieilles voitures.
Leur père m'avait menacé en me coinçant contre un mur : « Si nous nous séparons, je garde les enfants, ils sont à moi! ». Je ne pensais pas que ça serait possible, ces choses-là n'arrivent que dans les mauvais films. Mais il leur a promis la lune, fait miroiter les étoiles et à coup de dollars - dont il ne manquait pas - de paillettes et de promesses, il les a emmenés, pauvres victimes consentantes trop malléables.
Il avait promis à ma fille de devenir une star hollywoodienne de comédie musicale et à mon fils d'être le futur champion olympique de ski de l'équipe anglaise! Ils ont plongé tête baissée, sans se retourner, dans l'éblouissement de ce miroir aux alouettes, avec comme unique bagage la naïveté de leur jeune âge.
Mes enfants me manquent à un point inimaginable, et chaque jour un peu plus. Le temps atténue la douleur, dit-on. C'est faux. Il la lisse, l'érode, rabote les angles, mais la rend plus dure et pure, incassable comme le noyau brut d'une pierre noire. On l'apprivoise.
Chaque jour m'éloigne d'eux un peu plus, et bien que leur souvenir, leur visage, leur odeur restent intactes, ma peine grandit car je deviens un peu plus étrangère à qui ils sont devenus aujourd'hui.
Je vois quelques photos sur les réseaux sociaux de mon fils que je n'ai pas vu depuis cinq ans ; l’enfant que j'ai connu n'existe plus, l'adulte qu'il est devenu m'est inconnu.
On m'a dit qu'il s'est marié en mai dernier. Je lui souhaite d'être heureux, mais mon cœur est déchiré de ne pas l'avoir serré dans mes bras ce jour-là. Certains matins, je me réveille en l'ayant rêvé, et je ressens en moi cette sensation si douce vécue autrefois. Et puis je réalise avec tristesse que ce n'était qu'un rêve. Ma fille Emma n'a pas coupé complètement les ponts, on se retrouve 10 ou 15 jours par an (sauf pendant les années Covid), ici ou ailleurs, et elle redevient la petite fille que je chérissais tellement lorsqu'elle partageait ma vie ; nous retrouvons nos câlins et fou-rires, puis elle disparaît à nouveau au bout du monde sans donner de nouvelles, sans répondre à mes appels, à mes messages. Et mon cœur est brisé à nouveau.
Les premières années, je faisais des cauchemars de tempêtes terribles et voyais mes enfants prisonniers sur un bateau que l'océan allait engloutir. Ou des monstres terrifiants dans un décor horrible qui me les arrachaient alors que j'étais paralysée et ne pouvais les sauver.
Emma m'a dit que tous ses souvenirs d'enfance sont effacés. Les albums photos de leur passé ont été cachés. Ils ont subi un lavage de cerveau et une re-programmation affective. Alors je leur écris sans arrêt, je leurs envoie des photos de leurs premières années, sans réponse de leur part, comme on jette des bouteilles à la mer. Je déteste les gens qui me disent « Mais ne t'inquiète pas, ils reviendront!... Un enfant ne renie jamais sa mère !…» ou «Oh, c'est chouette, des études aux USA, quelle chance extraordinaire ils ont !… », « Mais ils ne sont pas morts quand-même, ce n'est pas si grave, ça ira !… ». Je souris poliment et acquiesce, car comment leur expliquer l'incompréhensible?
Je n'en veux pas à Mike et Emma, ils sont victimes eux aussi, de simples marionnettes utilisées comme des armes contre moi. Je leur souhaite de toutes mes forces de trouver l'équilibre au milieu de ce chaos, ce n'est pas facile pour les enfants victimes d’exclusion parentale à qui il manquera toujours une partie de leur identité volée et qui généralement souffrent de troubles psychologiques parfois graves.
Je veux qu'ils sachent que ma porte, mes bras et mon cœur leurs sont ouverts pour toujours.
Je construis ma vie aujourd'hui en compartimentant. Je ne remercierai jamais assez Morgan et Chloé, mes aînés, pour leur soutien inconditionnel. Je suis si fière d'eux, de ceux qu’ils sont devenus. Ils sont aujourd'hui mon soleil et ma raison de vivre et grâce à eux maintenant une partie de moi est heureuse.
Catherine, janvier 2023
* pour préserver leur anonymat, les prénoms des enfants ont été modifiés
« Je crois vraiment qu’en tant que maman l’aliénation parentale est encore plus difficile à vivre - même s’il est très difficile à vivre par un papa également - parce qu’il y a cet ancrage culturel qui veut qu’un enfant ne renie ni rejette jamais sa maman - c’est quelque chose de profondément ancré… les gens disent que, pour que cela arrive, il faut vraiment que quelque chose de très grave se soit passé… les gens disent aussi qu’un enfant revient toujours vers sa maman, que c’est un instinct animal, que c’est impossible que ça puisse se passer autrement! En tant que maman alors, quand on se retrouve dans cette situation d’être rejetée par nos propres enfants, c’est comme si on avait une double peine : on a la peine de la séparation - du fait qu’on nous a arraché nos enfants ; et on a la peine du regard des autres et de la culpabilité que ce regard nous fait ressentir : on se sent jugés par les autres, même par nos proches, qui sont convaincus que quelque chose de grave a dû se passer qui justifie le rejet. Les papas tombent moins sous cette épée de Damoclès de la culpabilité : car culturellement on est plus habitué au fait que les papas partent travailler, qu’ils s’occupent moins des enfants... »