Paul

paysagiste, 61 ans, vit à LANNION (Côtes-d’armor)

 

photo © Marco Barbon

Comment parvenir un jour à sortir ensemble de ce cauchemar?

 

Je suis un parent écarté depuis 17 ans.
Un lien minimaliste s’est rétabli aujourd’hui avec chacun de mes quatre enfants. Avec de grosses séquelles dans la relation. Et surtout, de ce que j’en sais, mes enfants semblent aller plutôt bien. J’en suis très fier.
Avec leur maman, nous nous sommes séparés en 2006. Lors des deux dernières années de notre vie conjugale, elle avait subtilement discrédité mes capacités parentales auprès de tout notre entourage, et, plus grave, auprès de nos propres enfants. C’était bien plus subtil que du ‘dire du mal’ de moi : elle répétait que «ça se passait mal entre moi et mes enfants», en raison de mes supposés problèmes psychiatriques. Le jour où nous nous sommes séparés, tout notre entourage - y compris une bonne partie de ma propre famille - a donc considéré qu’elle sauvait «ses» enfants de mon influence «toxique». Tout cela je ne l’ai découvert que six ans après.
L’année après notre séparation, deux des nos enfants - ceux du milieu qui avaient 15 et 12 ans lors de la séparation – ont mis une distance énorme en ma présence. L’enfer s’est déclenché un an après, par une succession de refus de droit de visite, arguant que mes enfants ne voulaient plus me voir. Au bout d’une quinzaine de plaintes pour non présentation, les gendarmes m’ont supplié d’arrêter de venir déposer, car je ne pouvais pas obliger mes enfants à me voir…
Quand je parvenais à les voir, le week-end était invariablement suivi du «mail du lundi». Alors que je pensais sincèrement avoir partagé des moments sympas, leur séjour était repeint en noir. «Je les ai récupérés en pleurs, qu’est-ce que tu leur as encore fait? Je ne veux plus que tu les voies tant que tu n’auras pas fait un séjour en hôpital psychiatrique». Chaque fois que je lui demandais «mais de quoi parles-tu donc ?», j’avais invariablement la même réponse : «tu le sais très bien».
Les cinq années qui ont suivi, j’ai mené trois combats de front. Ne pas devenir fou, et résister à mes pensées suicidaires. Ne pas entrer dans le ressentiment. Tenter de comprendre ce que je pouvais encore faire à mon niveau. Il y a eu des avancées et des reculs. Vivre un SAP, c’est être amputé de ses enfants, mais aussi être plongé soudainement dans un monde à l’envers.
En 2010, quelqu’un m’a révélé que le «mail du lundi» n’était que la partie émergée d’un iceberg. Cela faisait six ans que tous mes proches étaient donc «alertés» sur mes «problèmes avec les enfants». J’ai compris que beaucoup de dégâts étaient irréversibles pour nous tous, et la justice ne me permettrait pas de les revoir de toute façon car - paraît-il - «passé 12 ans, on ne peut plus leur imposer de vous voir». Je me suis dit que mes enfants étaient entrés dans une secte qui les coupait de leur propre histoire.
Ne plus les voir était évidemment une immense souffrance. Mais je voulais me battre pour deux autres choses : maintenir un lien, fût-il très ténu ; garder une chance de pouvoir les soutenir quand ils traverseraient des épreuves de la vie.
J’ai donc cherché un avocat pour faire un signalement dans ce sens au juge des enfants. Des enquêtes ont été conduites, je pense pouvoir affirmer qu’elles ont été conduites violemment à ma charge. La juge pour enfants en audience a commencé par m’accuser d’une perversité inouïe puisque mes quatre enfants se plaignaient de mes maltraitances, sans qu’aucun expert ait trouvé aucun fait. Ce qui nous a sauvé je pense, c’est que ce juge a tout de même arbitré en juriste. Vu que le dossier étant totalement vide de faits, elle a ordonné une mesure d’AEMO, qu’elle a pour notre plus grande chance confiée à une équipe compétente, qui a entamé une tournée des popotes. Un an après, leur rapport a confirmé l’absence de faits de ma part, l’absence totale d’information sur ce qui se passait chez la maman car les enfants eux-mêmes restaient muets sur le sujet. Avec mes mots, je dirais que le rapport attestait qu’il y avait une fumée sans feu. Mais une fumée toxique, et même très toxique.
Cette équipe a été la première à intervenir avec des seaux d’eau plutôt que des bidons d’essence. Je pense que c’est leur travail de fourmi qui a permis que, à partir de 2012, les calomnies de la part de la maman et des enfants se sont quasiment arrêtées.
L’année d’après, 2013, j’ai découvert ACALPA, qui m’a donné le premier éclairage d’ensemble sur ce qui s’était passé.
Dix ans plus tard, un lien ténu s’est rétabli entre les enfants et moi. Quelques messages, d’apparence anodins, une à trois fois par an. Une à trois visites - quelques heures - en dix ans. Je pense que nous ne pourrons jamais reparler de ce qui s’est passé entre nous car notre relation reste un champ miné.
Mais à côté de cela, ce qui s’est rétabli est, je pense, vital pour nous tous. La vie est fragile. La vie est belle.

Paul, mars 2023

 Pour parler des séquelles… l’image qui me vient est celle d’une île au large de Saint-Malo qui n’a jamais été déminée depuis la fin de la 2ème guerre mondiale ; cette île a pris tellement de bombes que même 80 ans après elle n’est pas encore accessible… en fait, il y a un petit chemin qui a été tracé et bien délimité avec des panneaux partout NE SORTEZ PAS DU CHEMIN! - on peut faire un petit tour, c’est d’ailleurs fort sympa, et on passe au milieu des anciens cratères qui sont partout, puis on revient à la plage et on reprend le bateau pour rentrer de cette île qui a été complètement défoncée. Eh bien, c’est l’image que j’aurais de mon système familial : il a subi tellement de bombardements… - moi j’ai eu sept ans ininterrompus de calomnies, qui sont allées très loin jusqu’à dénonciation en justice - après ce niveau de bombardement nous sommes parvenus à tracer ensemble un tout petit sentier déminé, avec mes enfants : ils arrêtent les calomnies, on garde un lien autant que possible bienveillant… mais à condition de ne pas parler de plein de choses. Je ne les vois quasiment plus jamais. Ce jour-là, tout peut déraper sans arrêt. Le terrain est encore miné et il le sera à jamais. On ne sort pas de ce sentier qui est tellement fragile et précieux, notre seul lien. Voilà l’image que j’ai des séquelles. Séquelles qui sont quand même énormes, il faut être clair.
— extrait de l'entretien avec Paul, 22 février 2023