Cécile A.

Enseignante, 56 ans, vit à GRASSE (ALPES-MARITIMES)

 

photo © Marco Barbon

La dernière fête des mères

 

« Comment commencer? Des souvenirs? Il y en a en pagaille partout dans ma tête autour de moi (j’habite la même maison depuis 20 ans).
 Au moment où j’écris, là, juste ici la grande table où nous passions, avec mes trois enfants Louise, Jérôme et Tom *, les mercredis pluvieux mais aussi les week-ends à peindre, modeler, dessiner, goûter… 
Ah les goûters! On adorait faire des crêpes quand il pleuvait, trois poêles sur le feu, avec les crêpes qui volaient, juste avant d’être avalées, chaudes avec le feu qui crépitait, ou les brioches qui embaumaient la maison ou les gâteaux secs à l’emporte pièce en forme de cœur, d’étoile, de sapin à Noël, de voiture, de bonne femme, de bonhomme… Tom avec la farine sur le nez, les manches relevées, qui étalait la pâte à gâteaux, Jérôme qui invitait des amis qui demandaient si on pouvait manger des petits pains au lait maison, Louise qui faisait des formes incroyables avec la pâte à brioche, les tartes avec l’alignement des pommes, patient et méticuleux de Jérôme…
 Un après-midi, alors qu’il neigeait, et que les brioches cuisaient, les voisins qui passaient à pied devant chez nous avec Elsa et Thiago du même âge que Louise et Tom avaient sonné sentant les odeurs irrésistibles depuis le portail. 
Quelle tablée! Comme souvent avec les amis de mes enfants et parfois leurs parents qui devenaient aussi mes amis.
Il y avait des rires, du bonheur, des cris, des pleurs parfois… la vie! 
S’il faisait beau, on préparait un pique-nique et on partait sur le canal avec Taö et Yola en promenade ou à la rivière ou à la plage ou à la montagne.

Je suis assise à la même place qu’à la dernière fête des mères, sur cette grande table en chêne. Tom m’offrait son cadeau, le dernier, préparé à l’école, il avait écrit lui-même un poème, un poème d’amour, magnifique, sur un petit cahier de feuilles reliées et décorées soigneusement, et il a éclaté en sanglot.
Il savait ou pressentait que c’était fini, cassé, ce lien tellement unique, adorable, magique, formidable qu’on le croit indestructible. 
D’ailleurs, il l’est, indestructible, personne ne pourra empêcher ni abimer cet amour, c’est lui notre lien ».

Cécile, octobre 2022

* pour préserver leur anonymat, les prénoms des enfants ont été modifiés