Alexandra

INFIRMIÈRE, 47 ans, vit à AMIENS (SOMME)

 

photo © Marco Barbon


Léo était tout pour moi, je l’ai élevé presque seule car son papa travaillait beaucoup
…

 

Léo est né il y a 17 ans. La grossesse s’est déroulée sans problème particulier. La naissance, en revanche, a été un véritable traumatisme, rien ne s’est passé comme je l’avais imaginé, j’ai dû subir une césarienne en urgence car le petit cœur de Léo ralentissait dangereusement. Il a été hospitalisé et heureusement il a survécu. De mon côté j’ai eu de graves complications et après un séjour en réanimation j’ai été hospitalisée longuement en service conventionnel. Je me suis battue comme une lionne et j’ai, moi aussi, survécu. Je suis mutilée et ne pourrai plus avoir d’autres enfants. Nous avons été séparés longtemps du fait de cette hospitalisation puis des soins qui en ont découlé mais nous avons réussi à retisser le lien, à force de patience et d’amour.

Je me souviens quand j’allais le rechercher chez la nounou après ma journée de travail, j’étais pressée de rentrer à la maison et de profiter de lui mais il me faisait attendre l’air de dire « je t’ai bien attendue toute la journée moi! ». La nuit, quand il était malade, c’était toujours «maman» - même si j’aurais aimé qu’il appelle son papa de temps en temps au fond j’étais plutôt flattée d’être celle dont il avait besoin quand ça n’allait pas. Pour à peu près tout il s’adressait plutôt à moi qu’à son papa. Léo avait toujours besoin d’être rassuré, même quand je n’étais pas loin je l’entendais dire « elle est où maman?». 

Puis sa première rentrée scolaire et ses pleurs qui m’ont déchiré le cœur au moment de lui dire au revoir et de le confier à la maîtresse. Nous n’habitions pas très loin de l’école et j’aimais y aller avec lui à pied ou en vélo quand le temps le permettait ; l’ouverture de la grille était toujours un moment de joie et nous allions souvent au parc en face de l’école avant de rentrer à la maison. 

Plus tard, j’ai eu l’opportunité de travailler à temps partiel et d’être en repos les mercredis, ce qui m’a permis de l’accompagner à ses activités, d’abord le tennis, puis le judo et enfin la danse. J’adorais ces moments privilégiés, nous avions nos petites habitudes comme ce restaurant vietnamien où nous prenions des plats à emporter après la danse du mercredi… je n’y suis jamais retournée à ce jour... 

J’aimais aussi inviter ses amis à la maison, pour des après-midi, des anniversaires ou des soirées pyjamas entre copains quand il était un peu plus grand.

J’adorais les câlins du coucher même si Léo n’était jamais rassasié au point que parfois il fallait presque se fâcher un peu…Léo était tout pour moi, je l’ai élevé presque seule car son papa travaillait beaucoup. Il nous est même arrivé de partir en vacances tous les deux, son papa ne pouvant se libérer du fait de ses obligations professionnelles.

Aux dires de mes proches, nous étions très complices, presque un peu « fusionnels », Léo avait du mal à se détacher de moi mais je l’ai toujours encouragé à s‘ouvrir aux autres. 

Notre relation avec son papa s’est dégradée au fil du temps, je me sentais très seule au sein de mon couple et j’ai quitté le domicile conjugal pour « sauver ma peau ».

Je pense que le papa de Léo n’avait pas imaginé que je pourrais être capable de partir un jour, mon départ a profondément bouleversé sa vie, il s’est renfermé sur lui-même et sa souffrance. 
Léo de son côté semblait au départ soulagé de cette séparation entre son papa et moi et nos rapports étaient normaux, jusqu’à ce jour où suite à une dispute pour un motif futile il a demandé à aller chez son papa… il n’a jamais remis les pieds chez moi depuis…

À partir de là il n’a cessé de montrer de l’hostilité à mon égard, puis a coupé les ponts pendant plus d’un an. Jamais je n’aurais imaginé que cela pourrait nous arriver. Je suis passée par toutes les phases, déni, révolte, tristesse, puis je suis tombée sur un livre qui parlait de l’exclusion parentale et là j’ai compris ce qui se passait. 

J’ai saisi les différentes instances, nous nous sommes revus en visites médiatisées quand Léo y est venu ou s’est senti autorisé à venir, pour tenter de reconstruire le lien qui a été abimé. Puis un jour il n’a plus voulu venir. Le manque de moyens, les reports et délais, l’impossibilité de faire appliquer les mesures ordonnées ont fait que la situation n’a pas évolué dans le sens espéré. Aujourd’hui cela fait à nouveau plus d’un an que je ne l’ai pas revu, je sais peu de choses de sa vie, je ne sais plus bien qui il est. C’est dur pour moi de rater les anniversaires, les fêtes, de ne pas pouvoir jouer mon rôle de maman et de guide. À la fin de l’année il passera son bac et si la situation ne change pas je ne pourrai pas célébrer sa réussite. Mais le plus dur c’est quand les personnes qui l'ont connu ne l'évoquent plus ou ne me demandent pas si j'ai des nouvelles de lui, comme s'ils l’avaient effacé de leur mémoire.

Léo a coupé les ponts avec tous mes proches, famille et amis ; je m’inquiète pour sa structure psychologique, il est privé de soutiens précieux et d’une partie de ses racines. À la fin de l’année il sera majeur et je crains de ne plus avoir de moyens d’agir.
Je sais que mon fils est pris dans un conflit de loyauté et qu’il est difficile pour lui d’y voir clair, de s’autoriser à vivre sa relation avec sa maman sans avoir l’impression de trahir son père. 

De mon côté je reste celle que j’ai toujours été, je garde le cap, je saisis les occasions qui me sont données de lui montrer que je suis et serai toujours là pour lui mais je ne sais pas quelle suite il va écrire à notre histoire, tout me semble si fragile et précaire… J’aimerais tellement l’entendre dire un jour « maman, je suis désolé, j’ai été pris dans un conflit qui me dépassait, ne m’en veux pas, je t’aime, je veux rattraper le temps perdu avec toi »… un jour peut-être…

Alexandra, mars 2024

* pour préserver son anonymat, le prénom de l’enfant a été modifié

 
J’aimerais tellement l’entendre dire un jour « maman, je suis désolé, j’ai été pris dans un conflit qui me dépassait, ne m’en veux pas, je t’aime, je veux rattraper le temps perdu avec toi »… un jour peut-être…
— Alexandra
 
Je me souviens de Noël - quand à l’époque tu croyais encore au Père Noël - de ta joie et de ta stupeur au moment de découvrir les cadeaux que le Père Noël t’avait apportés.
On laissait une petite assiette avec des confiseries pour le Père Noël et ça te faisait beaucoup rire de voir qu’il avait tout mangé, de voir le petit mot qu’il t’avait laissé pour te remercier…
— Alexandra