Evelyne

thérapeute, 57 ans, vit A AUBAGNE (BOUCHES-DU-Rhône)

 

photo © Marco Barbon

Le cheval de ma fille

 

J’ai 57 ans et je suis maman de 3 filles : Caroline (30 ans), Anne (bientôt 19 ans) - que je n’ai plus vu pendant 2 ans et demi - et Maylis (16 ans) *.
Ma grande fille Caroline est issue d’une première relation qui a duré 7 ans. Avec son père, quand nous nous sommes séparés, nous avons fait au mieux pour l’élever dans une relation de bonne entente. Nous avons opté pour une garde alternée qui s’est bien passée. Je suis restée en bon terme avec son père et sa sœur est devenu une amie proche. J’ai une très belle relation avec ma première fille et ma fille Maylis. Nous faisons beaucoup d’activités ensembles.
 En 2002, j’ai rencontré le père de mes deux filles. Très rapidement nous avons habité ensemble. Deux ans et demi après j’attendais notre premier enfant, Anne. Ensuite, nous avons eu Maylis. Nous sommes restés 15 ans ensemble. Très vite, je me suis occupée à plein temps des enfants et de leurs activités, à travailler à mi-temps, à faire des travaux ensemble pour la maison que nous venions d’acheter. D’une énergie débordante, je menais tout de front.
J’étais tellement heureuse d’être maman que j’ai accepté beaucoup de choses dans la relation avec mon ex-mari. Je me disais que cela allait changer. Il me mettait la pression, cloisonnait les relations, me faisait « la gueule » dès que cela ne lui convenait pas, en créant un malaise ou un conflit comme si c’était ma « faute » si cela se passait mal. 
Début 2017, j’ai décidé de divorcer car j’avais perdu ma joie de vivre. Comme je voyais que ma fille Anne allait mal, j’ai pris contact avec une psychologue sur Aubagne pour qu’elle puisse être suivie. Elle fait trois séances. Au bilan, elle refuse de nous parler - à son père et à moi - de ce qui ne va pas. La psychologue trouve cela surprenant et rare. Anne refuse de continuer la thérapie. 

Notre divorce a été prononcé en septembre 2017 à l’amiable et sans pension compensatoire. Nous avons convenu ensemble de la pension pour les enfants. C’est lui qui s’est occupé de tous les papiers chez le notaire pour notre maison, des avocats, de la banque…. Je l’ai laissé faire car je lui faisais confiance. Je me suis occupée de nos filles, de tous les cartons du déménagement, des démarches pour l’inscription auprès des écoles. J’ai cherché un appartement pour qu’elles puissent s’installer et qu’elles puissent faire une rentrée dans un cadre confortable et sécurisant. Anne m’avait demandé d’avoir une chambre à elle seule. Ayant peu de revenu, je me suis démenée pour respecter sa demande. J’ai tout refait pour les accueillir dans un bel appartement. J’ai même prêté mon appartement gracieusement à mon ex-mari pour que mes filles puissent rester dans leur chambre au lieu d’être à l’hôtel.
Il est ensuite venu habiter au 4ème étage de ce même immeuble trois mois après. Comme j’étais sous emprise, j’étais contente car je pensais que cela allait faciliter la relation avec les filles. 
Et c’est là que le cauchemar a commencé. Je n’ai pas vu toutes les difficultés que cela allait générer. 
Très rapidement, il m’a demandé de baisser la pension de manière conséquente, à l’amiable, et il a omis de me dire qu’il avait reçu une somme pour la vente de son entreprise. Cette baisse aurait pu me mettre en réel danger financier pour mes filles et pour moi, j’ai donc fait appel à un avocat pour clarifier la situation.
C’est à ce moment que j’ai découvert son vrai visage et ses agissements. Plein de petits conflits réguliers, insidieux et insignifiants sont arrivés sans que je puisse les repérer ni les éviter. Je dirais même je suis tombée dans le panneau. Il a utilisé subtilement nos filles contre moi pour créer des situations conflictuelles et pour servir ses besoins. J’ai été en colère face à ses agissements mesquins. Cela m’a épuisé, déstabilisé. Il y avait tellement de conflits que j’ai appliqué à la lettre ce qui a été noté sur la convention pour me protéger. 
Pour garder de la distance, j’ai décidé d’échanger uniquement par mail, de rester dans une garde partagée en faisant toujours 9 jours chez moi et 5 jours chez le père, même si ma fille Maylis voulait une semaine sur deux. Paradoxalement, Anne ne voulait rien changer.
Souvent, nos filles m’appelaient pour passer à la maison à l’improviste et tard le soir quand elles étaient chez leur père avec toujours un prétexte important. Il ne disait jamais rien et les laissait faire. Quand je refusais, mes filles me confrontaient ou me faisaient la tête.

Anne a eu des comportements de plus en plus agressifs, dévalorisants ou provocateurs avec moi. Elle dépassait beaucoup de règles : téléphone, ordinateur, bruits tard le soir, etc. Des choses disparaissaient de plus en plus (carte identité, carte bleu, enceinte, écouteurs, chargeur de téléphone, clés de mon travail). Cela donnait une ambiance malsaine, j’étais complètement sidérée. Je mettais cela sur le compte de « je-ne-sais-pas-où-je-les-ai-mis ». Je sais maintenant que c’est ce qu’on appelle gaslighting.
 C’est devenu tellement fréquent et important que je me suis sentie en insécurité et j’ai demandé à mon frère de venir pour en parler avec Anne. C’est à ce moment-là qu’elle est partie vivre chez son père. C’était le 24 octobre 2020.

J’ai pris contact avec mon avocat pour faire une réunion avec son père et son conseil pour trouver une solution. À cette occasion, j'ai évoqué les problèmes rencontrés avec elle, c'est-à-dire dégradation de matériel, baudrier scalpé (conséquence, peut occasionner des chutes graves ou mortelles), vêtements abîmés, etc. Je n’ai eu aucun soutien de sa part, j’ai été choqué de sa manière de répondre à mes mails. Il a complètement éludé la gravité de la situation et a détourné le problème. À partir de cette date, elle a refusé de me voir, elle a vidé sa chambre deux jours avant Noël. Ne sachant pas quoi faire et complètement impuissante face à cela, j’ai fait un signalement auprès de la maison départementale de la solidarité. Je voulais être aidée par des professionnels et être en lien ma fille. J’ai insisté auprès des deux personnes mais le dossier a été clos. Cela me dépassait et la situation était d’une violence extrême. Une chose est sûre c’est que j’avais vécu cela avec leur père. 
J’ai demandé un suivi au soin dispositif adolescent à Valvert à Marseille, fait une expertise psychologique. Seulement, la psychiatre a refusé de lire ce document.
Entre temps, j’ai vendu mon appartement pour ne plus habiter au même endroit. J’ai été présente comme je le pouvais en assistant à ses conseils de classe. 
Je me suis fait beaucoup de soucis pour Anne.
J’ai dû prendre du recul tellement la situation était violente pour moi. Il fallait que je me protège.
 La communication est compliquée avec son père, oscillant entre des mails confus rabaissants et d’autres très “politiquement correct”. J’ai été choquée de recevoir des mails à rallonge en me demandant de partager la moitié des frais de ticket de métro, etc. Ma fille me traitait comme une étrangère.
Depuis septembre 2023, elle fait ses études à Paris. Je lui donne une pension conséquente pour qu’elle soit en sécurité et depuis je l’ai régulièrement au téléphone. Je trouve qu’elle ne prend pas soin d’elle.
Depuis mai 2023, je revois ma fille regulièrement. Je l’ai trouvée en grande souffrance, tourmentée, ce serait indispensable qu’elle puisse avoir un suivi thérapeutique. 
Je suis tout le temps en train d’alerter pour que les personnes de son entourage prennent conscience de la gravité de ce qu’elle a vécu et des conséquences aujourd’hui.
C’est pour cela que je veux témoigner. 
Je remercie du fond de mon cœur toutes les personnes qui m’ont aidée et accompagnée à traverser cette situation. 
Je veux que ma fille sache que je suis là, que le l’aime et que je serai toujours là pour elle.

Evelyne, octobre 2023

* pour préserver leur anonymat, les prénoms des enfants ont été modifiés

photo © Marco Barbon