Eleanor

ENSEIGNANTE, 51 ANS, vit à Toulon (Var)

 

photo © Marco Barbon

« Je suis issue d’une famille à double culture, Française (Corse) et Britannique, soudée et bienveillante, malgré le divorce de mes parents. Mes parents ont gardé de bonnes relations entre eux et se sont toujours concertés concernant mes frères et moi.
Je me suis mariée en 2002 et j’ai eu deux filles de ce mariage : Esther, née en 2004, et Héloise en 2006 *. Les relations avec mon mari se sont dégradées en 2011 puis nous nous sommes séparés en 2012. Le divorce a été prononcé en 2013. Dès la séparation la coopération a été impossible en raison du comportement de mon ex-mari qui poussait mes filles à me mentir et les encourageait à désobéir. Dès lors, j'ai systématiquement demandé une médiation pour essayer d'améliorer les relations. Ont suivi une succession de démarches en Justice pour obtenir d'abord une garde alternée alors qu'il ne le souhaitait pas lorsque nous nous sommes séparés, suivie d'une garde exclusive. La médiation ordonnée par un juge en 2015 est venue trop tard, a été bâclée et a été une épreuve inutile.
J’ai commencé la relation avec mon compagnon en 2012 et nous avons une fille ensemble - Rita - née en 2014 et nous nous sommes mariés en 2022. Il a quitté l'Ecosse pour vivre avec mes filles et moi et s'est beaucoup investi pour notre foyer. J’étais heureuse d’avoir mes trois filles avec moi, même si notre vie était assez instable pour des raisons matérielles. Rita a passé ses trois premières années avec ses deux sœurs et en octobre 2017, elle ne les a plus vues du jour au lendemain. Tout le temps où mes deux filles étaient avec moi, leurs amies étaient invitées à la maison et j’ai toujours encouragé et maintenu les relations avec l’ensemble de leur famille, la mienne et celle de leur père. Elles participaient aux sorties scolaires et elles profitaient de voir leurs cousins et cousines des deux côtés avec qui elles s’entendaient très bien. Mon compagnon s’occupait aussi d’elles comme il l’avait fait pour sa fille aînée âgée de 27 ans et comme il le fait avec Rita. Alors que mes filles l’avaient accueilli au départ et qu’elles faisaient volontiers des activités avec lui, petit à petit elles se sont fermées et lui sont devenues hostiles.
Mes filles ont maintenant 18 et bientôt 17 ans. Cela fait plus de cinq ans que je n'ai aucune nouvelle mis à part les résultats scolaires. Les quelques fois où j'ai essayé de les voir à la sortie du lycée, elles m'ont ignorée ou fui. La Justice n'a pas appliqué le droit des enfants et n'a pas permis que mes filles bénéficient de relations avec l'ensemble de leur famille. Les Services sociaux type AEMO bâclent les enquêtes et n'ont pas insisté lorsque mon ex-mari a fait obstruction à leur enquête. L'Établissement Catholique Privé où mes filles étaient scolarisées a refusé de remettre des courriers à mes filles ou d'organiser des rencontres alors que j'avais l'autorité parentale. Enfin, face aux difficultés que j'ai eu avec mes filles, nous avions entamé une médiation familiale que mon ex-mari a interrompu en les enlevant à la sortie du collège.

Que reste-t-il du lien entre mes filles et moi? L'essence de leur personnalité car même si elles ont beaucoup évolué, je suis certaine qu'il reste un "cœur" à chacune d'entre elles qui peut refaire surface. Esther était rêveuse, lisait beaucoup et était dans l'imaginaire. Héloise était attentive aux autres, elle était heureuse d'avoir une petite sœur, elle avait une bonne relation avec ma mère qui est maintenant décédée et qui a été privée de voir ses petites filles les cinq dernières années de sa vie. Elle était posée et avait de l’empathie.
J'ai longtemps gardées beaucoup de leurs affaires avec espoir. À cause de cette situation, j’ai eu du mal à m'en défaire. Mais il faut avancer, sans oublier et l'existence de Rita, pétillante et joyeuse nous renvoie à son père et à moi des sentiments positifs. Il me reste mon amour maternel inconditionnel car je ne peux pas en vouloir à mes filles qui sont instrumentalisées. Je suis désolée pour elles qu’elles grandissent dans cette atmosphère toxique et qu'elles soient privées d'une très grande partie de leur famille. J’ai espoir qu’elles ouvrent un jour les yeux mais c’est difficile car je n’aurais jamais pu imaginer qu'une telle situation soit possible. Cela a été très déstabilisant. Il était important pour moi d'accompagner mes filles et de les voir grandir. En tant que parent, on veut communiquer notre regard sur le monde, sur la vie, sur la société. Ma mère décédée, le lien entre enfants et parents prend encore plus de sens pour moi.
Pour mes filles, je ne sais pas s'il restera quelque chose de moi et de ma famille. Et pourtant, je leur ai consacré mon temps et ma disponibilité avec amour, elles étaient ma priorité.
Tout ce que je peux affirmer, c'est que chacune de mes filles à sa place dans mon cœur, qu'elles soient prés de moi ou pas. Je les aime pour ce qu'elles sont et j'espère que leur vie évoluera positivement et qu'elles feront le bien autour d’elles.»

Eleanor, avril 2022

* pour préserver leur anonymat, les prénoms des enfants ont été modifiés

Les lits superposés